De la lutte anticoloniale aux défis sécuritaires contemporains, la presse malienne a toujours joué un rôle structurant dans la fabrication du lien national. Entre censure, pluralisme, résistance et résilience, elle a porté le souffle d’une République en devenir. Aujourd’hui encore, la soutenir, c’est investir dans l’avenir du Mali.
On s’illusionne souvent sur ce qu’est une nation. On croit qu’elle naît dans le fracas des indépendances, qu’elle se consolide par la seule volonté politique ou par la mise en place d’institutions formelles. Mais l’histoire enseigne une vérité plus subtile. Aucune nation ne se bâtit sans récit partagé, sans mémoire commune, sans regard critique sur elle-même. Or, la presse est, en Afrique comme ailleurs, l’un des principaux artisans de ce récit national.
Le cas malien est, à cet égard, exemplaire. De la période coloniale à nos jours, la presse n’a cessé d’accompagner, de questionner, de construire les différents moments de l’identité nationale malienne. Parfois encadrée, souvent entravée, elle a néanmoins survécu, persévéré, et, plus que toute autre institution, posé les jalons d’un avenir commun.
La parole comme instrument de libération
Dès les années 1940, dans les pages fragiles de quelques publications encore sous surveillance coloniale, une parole nouvelle émerge. Celle de l’émancipation. Le Congrès de Bamako de 1946, moment fondateur du RDA, ne fut pas seulement une réunion de cadres politiques. Ce fut un moment d’éveil médiatique, où la presse devint un vecteur de conscientisation et un catalyseur de souveraineté.
La presse du Soudan français, bien avant l’indépendance, portait déjà les germes de la liberté. Elle interrogeait l’ordre établi, relayait les voix dissonantes, et contribuait à l’émergence d’une opinion publique. C’est par les mots que le Mali a commencé à exister politiquement.
L’État, la presse et la nation
L’indépendance proclamée en 1960 aurait pu consacrer une presse libre, garante du pluralisme. Il n’en fut rien. Le régime de Modibo Keïta, comme tant d’autres en Afrique postcoloniale, opta pour une presse d’État, au service de l’unité nationale et du projet socialiste. L’intention n’était pas mauvaise. Utiliser la presse comme outil d’éducation civique. Mais le monopole de la parole finit toujours par l’appauvrir. Et la liberté s’étiole quand la critique devient trahison.
Avec la dictature militaire de Moussa Traoré (1968-1991), la presse malienne entre dans une ère de censure structurée, où l’information devient outil de propagande. Pourtant, même sous cette chape de plomb, des voix résistantes surgissent. Des journaux clandestins circulent. Des journalistes s’exilent ou écrivent entre les lignes. Car la vérité finit toujours par chercher une forme, fût-elle imparfaite.
Une brève fenêtre de liberté
1991, le vent de la démocratie balaie le vieux régime. La presse, en première ligne des mouvements de contestation, retrouve ses droits. Elle devient multiple, dynamique, foisonnante. Radios libres, hebdomadaires critiques, titres indépendants. Le Mali connaît une effervescence médiatique sans précédent.
Pendant deux décennies, la presse accompagne le renouveau démocratique. Elle informe, débat, critique. Elle dérange aussi. Car en Afrique, comme ailleurs, la liberté d’informer est d’autant plus précieuse qu’elle est fragile.
Un média sous pression dans un État sous tension
Depuis 2012, la crise sécuritaire, l’instabilité politique, les transitions successives et les défis économiques ont de nouveau fragilisé l’écosystème médiatique malien. La liberté de ton recule. Les pressions, parfois armées, parfois financières, réduisent les marges d’indépendance. Mais malgré les menaces, la presse continue d’exister. Elle rend compte du conflit, elle donne la parole aux oubliés, elle documente les fractures et, parfois, propose des chemins de réconciliation.
Aujourd’hui, les journalistes maliens affrontent non seulement la précarité matérielle, mais aussi le poison de la désinformation, la pression des réseaux sociaux, et le soupçon permanent d’allégeance. Pourtant, leur mission reste la même : servir la vérité, nourrir la citoyenneté, éclairer la complexité.
La presse comme boussole de la nation
Au Mali comme ailleurs, le combat pour la liberté de la presse est un combat pour l’avenir. Il n’y aura pas de stabilité politique, pas de cohésion sociale, pas de paix durable sans médias libres, rigoureux et reconnus.
La presse n’est pas un simple miroir du pouvoir ou un instrument de critique. Elle est l’un des piliers invisibles de la construction nationale. À travers ses récits, ses dénonciations, ses espoirs, elle forge une mémoire, structure un débat, donne corps à une communauté de destin.
Il est temps que les autorités, les citoyens, et les partenaires internationaux le comprennent. Soutenir la presse malienne, c’est investir dans le Mali lui-même.
Chiencoro Diarra
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