Derrière les chiffres maquillés, une vérité comptable éclate, le Sénégal de Macky Sall aurait dissimulé 7 milliards de dollars de dette. Une affaire technique ? Non. Un choc politique.
Cela commence, comme souvent, par un chiffre. Froid, précis, implacable : 7 milliards de dollars. Non pas une projection, ni même une estimation. Un trou. Une cavité dans la comptabilité d’un pays, creusée, selon les mots du FMI, en toute conscience, entre 2019 et 2024, sous l’œil vigilant – ou complice – de l’administration Macky Sall.
Une dette cachée. Un aveu d’autant plus retentissant qu’il émane non pas de quelque opposant en mal de tribune, mais du Fonds monétaire international lui-même. Et que cette révélation vient sceller ce que la Cour des comptes sénégalaise avait déjà inscrit noir sur blanc en février : la dette publique n’était pas de 70 %, mais proche de 100 % du PIB. Autrement dit, l’État sénégalais n’a pas menti à ses créanciers. Il a maquillé sa vérité.
Edward Gemayel, chef de mission du FMI à Dakar, n’y va pas par quatre chemins. Il parle de décision délibérée. D’un calcul politique, économique, stratégique. Montrer un visage serein aux marchés, obtenir des taux avantageux, éviter la panique. C’est toute l’ironie de la chose. La dette ne tue pas lorsqu’elle est élevée, mais lorsqu’elle est mal avouée.
Macky Sall, le legs embarrassant
À trop vouloir paraître solvable, le Sénégal a franchi la ligne rouge. Celle qui sépare l’optimisme financier du mensonge budgétaire. Le programme d’aides de 1,8 milliard d’euros accordé par le FMI est donc, logiquement, gelé. Dans les couloirs climatisés des institutions de Bretton Woods, ce n’est pas un scandale. C’est un manquement technique. Mais sur le plan politique, c’est un séisme moral.
L’ancien président Macky Sall, artisan de la stabilité institutionnelle et diplomate à l’écoute des capitales occidentales, laisse ainsi derrière lui un parfum d’ambiguïté comptable. L’homme qui se voulait bâtisseur, promoteur d’un « Sénégal émergent », aura sans doute construit… mais sur une base fragilisée par des enjambées budgétaires mal calibrées.
L’administration actuelle, issue d’une alternance inédite, n’a pas tardé à ouvrir les livres. Et ce qu’elle y a trouvé n’est pas une surprise. C’est une confirmation. Depuis septembre, les signaux se sont accumulés : chiffres corrigés, documents révisés, dettes réapparues comme par enchantement. Les nouveaux dirigeants de Dakar ont préféré l’aveu au silence. Le FMI, lui, a préféré l’arrêt à la poursuite d’un programme reposant sur du sable.
Le prix de la transparence
Rien n’est encore perdu. Le FMI attend désormais des réformes structurelles. Un compte unique du Trésor, une centralisation des entités de gestion de la dette, des mécanismes de contrôle consolidés. En un mot, une architecture de confiance. L’institution se donne quelques semaines pour décider si le Sénégal pourra bénéficier d’une dérogation, ou s’il devra rembourser les fonds déjà débloqués avant de prétendre à un nouveau programme.
Mais au-delà des procédures et des audits, ce qui est en jeu, c’est la crédibilité d’un pays, son image dans un monde où la transparence financière est devenue une exigence autant qu’un outil de souveraineté. Car manipuler les chiffres, c’est manipuler l’avenir, et dans une région déjà minée par l’instabilité, le Sénégal ne peut se permettre une telle perte de confiance.
On croyait le Sénégal exemplaire. Il ne l’est plus tout à fait. Mais il peut encore le redevenir. À condition de tirer les leçons politiques d’un épisode technocratique. La démocratie, ce n’est pas seulement le respect du calendrier électoral. C’est aussi la rigueur dans les chiffres, la vérité dans les bilans, la confiance dans les institutions.
Et si cette affaire devait laisser une cicatrice, qu’elle serve au moins de rappel. Dans la gestion d’un État, la sincérité des comptes est la première des vertus républicaines.
Chiencoro Diarra
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