Dans les villages et quartiers maliens, où la terre rouge s’étend à perte de vue, le son des enfants récitant le Coran rythme les journées. Ces voix, portées par le souffle des générations passées, racontent une histoire vieille de plusieurs siècles.
Au Mali, les écoles coraniques, appelées medersas ou daaras, sont bien plus qu’un lieu d’apprentissage religieux ; elles incarnent un héritage séculaire et un pilier culturel. Mais aujourd’hui, ces institutions se trouvent à la croisée des chemins, confrontées aux pressions de la modernité. Elles doivent naviguer entre préservation de leurs traditions et adaptation aux réalités d’un monde en mutation. Entre défis et résilience, quel avenir pour ces écoles qui façonnent encore des générations de Maliens ?
Un héritage millénaire
Les écoles coraniques existent au Mali depuis l’époque glorieuse des grands empires précoloniaux, tels que celui du Mali sous Soundiata Keïta (XIIIe siècle) et celui de Songhaï sous Askia Mohamed (XVe siècle). À cette époque, elles étaient des centres d’excellence pour la transmission des connaissances islamiques, mais aussi pour l’apprentissage des sciences, de la littérature et des arts. Des villes comme Tombouctou, Djenné et Gao étaient des phares intellectuels, accueillant des savants venus de tout le monde musulman.
Aujourd’hui encore, ces écoles jouent un rôle fondamental dans la société malienne. Selon une étude de 2019 menée par l’UNESCO, près de 30 % des enfants en âge scolaire au Mali fréquentent des écoles coraniques, soit environ 1,5 million d’enfants. Elles offrent une éducation accessible, souvent gratuite, et ancrée dans les valeurs religieuses et morales.
Rigueur et spiritualité
Le modèle pédagogique des medersas repose sur une discipline stricte et une méthode de mémorisation intensive. Sous la supervision d’un marabout, les élèves, appelés talibés, apprennent à réciter le Coran par cœur, lettre par lettre, verset par verset. Ce processus exige patience, dévotion et persévérance. Pour certains, il s’agit d’une quête spirituelle, tandis que pour leurs parents, c’est une manière de garantir une éducation morale et religieuse à leurs enfants.
« Mon fils est ici pour apprendre la religion et être un bon musulman », explique Amadou Traoré, un agriculteur de Banco, dans la région de Dioïla. « Je ne peux pas payer les frais de scolarité des grandes écoles, alors je préfère qu’il soit dans une medersa où il apprendra aussi à respecter Dieu et les autres », ajoute-t-il.
Les défis contemporains
Depuis la crise multidimensionnelle qui secoue le Mali depuis 2012, marquée par des attaques terroristes, des conflits intercommunautaires et une instabilité politique persistante, les écoles coraniques ont été durement touchées. Dans les régions du centre et du nord, où les violences sont omniprésentes, de nombreuses écoles ont fermé leurs portes ou ont été délocalisées.
« Avant, nous étions 80 élèves ici, mais maintenant, il n’y en a plus que 20 », déplore Oumar Diallo, un marabout basé dans la région de Tombouctou. « Les familles fuient les violences, et certains enfants doivent travailler pour aider leurs parents. » Les talibés, souvent vulnérables, deviennent des cibles faciles pour les groupes armés qui recrutent des enfants soldats.
La pauvreté reste un autre obstacle majeur. Dans de nombreuses écoles coraniques, les enfants sont envoyés mendier dans les rues pour subvenir aux besoins de leur école. Cette pratique, bien que critiquée, est souvent perçue comme une nécessité par les communautés locales.
« Nous savons que cela peut choquer, mais c’est une réalité », admet Aïcha Konaté, enseignante à Ségou. « Les familles n’ont pas toujours les moyens de soutenir financièrement les medersas, et sans cette contribution, certaines écoles risquent de fermer ».
Tradition versus modernité
Avec l’essor des systèmes scolaires modernes, les écoles coraniques sont souvent accusées de ne pas offrir une formation adaptée au marché du travail. Le gouvernement malien, soutenu par des partenaires internationaux, encourage désormais l’intégration des écoles coraniques dans le système éducatif national. Des initiatives ont vu le jour pour combiner l’enseignement religieux avec des matières académiques comme le français, les mathématiques et les sciences.
Cependant, cette intégration suscite des résistances. Certains marabouts considèrent que ces changements diluent l’essence même des écoles coraniques. « Notre mission est de former de bons musulmans, pas des employés de bureau », affirme Aboubacar Cissé, un marabout à Faladié. « Si nous ajoutons trop de matières profanes, nous risquons de perdre notre identité ».
Malgré ces tensions, les écoles coraniques continuent de jouir d’une grande popularité auprès des parents maliens. Pour beaucoup, elles représentent une alternative crédible à l’école formelle, souvent perçue comme inaccessible ou éloignée des réalités locales.
« Dans les grandes écoles, mes enfants apprennent des choses que je ne comprends pas », confie Fatoumata Diarra, une commerçante de Koulikoro Gare. « Ici, ils apprennent des valeurs qui leur serviront toute leur vie ».
Cependant, une partie croissante de la population reconnaît la nécessité d’une éducation plus complète. « Je veux que mon enfant puisse lire le Coran, mais aussi parler français et utiliser un ordinateur », explique Ibrahim Touré, un chauffeur de taxi à Bamako. Car, dit-il, « le monde change, et nous devons changer avec lui ».
Vers un équilibre
Face à ces enjeux, des organisations comme l’ONG Tamat et l’Association malienne pour la promotion de la jeunesse (AMPJ) travaillent avec les communautés pour développer des programmes hybrides qui respectent les traditions tout en répondant aux exigences modernes.
« Il s’agit de trouver un équilibre », souligne Drissa Sangaré, expert en éducation. « Nous devons préserver les valeurs culturelles et religieuses tout en donnant aux enfants les outils dont ils ont besoin pour réussir dans un monde globalisé ».
L’avenir des écoles coraniques au Mali dépendra en grande partie de leur capacité à s’adapter sans perdre leur essence. Alors que le pays continue de naviguer entre ses racines et ses aspirations modernes, ces institutions restent un symbole vivant de la résilience et de la richesse culturelle du Mali. En trouvant un équilibre entre préservation des valeurs ancestrales et adaptation aux réalités contemporaines, elles pourraient bien devenir un modèle inspirant pour d’autres pays africains confrontés aux mêmes dilemmes.
Un pont entre deux mondes
Les écoles coraniques au Mali incarnent un paradoxe fascinant : elles sont à la fois un ancrage dans la tradition et un terrain fertile pour l’innovation. Tandis que les défis sécuritaires, économiques et éducatifs persistent, elles continuent de jouer un rôle crucial dans la formation des jeunes générations.
En équilibrant respect des traditions et ouverture au monde moderne, ces institutions témoignent de la capacité du Mali à conjuguer passé et futur.
Bakary Fomba
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