Dans un rapport inédit, « L’industrie du livre en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance », l’UNESCO dresse une cartographie complète de l’industrie du livre en Afrique. Entre envolées numériques, pénuries structurelles et résilience littéraire, le continent cherche encore à faire entendre sa propre voix, sur ses propres pages.
Un rapport peut-être aride, un pavé de données et de courbes, un exercice d’experts pour autres experts. Mais celui-ci ne l’est pas. Car il parle d’un sujet brûlant de vitalité, intime et pourtant global : le livre en Afrique. Non pas le livre fantasmé, folklorisé ou subventionné, mais le livre tel qu’il existe — ou peine à exister — dans les rues de Bamako, les écoles d’Abidjan, les rayons clairsemés de Conakry.
Une industrie qui murmure à l’oreille du développement
En 2025, l’UNESCO publie pour la première fois une cartographie intégrale de l’industrie du livre dans les 54 États africains, comme on dresse le plan d’un trésor enfoui. Le constat est sans appel : l’Afrique génère à peine 5,4 % du chiffre d’affaires mondial de l’édition, alors qu’elle représente près de 18 % de la population planétaire. Autrement dit, le livre africain existe, mais il vit encore en exil.
Pourtant, le potentiel est là, immense. 7 milliards de dollars générés en 2023, et un horizon qui pourrait frôler les 18,5 milliards si l’édition scolaire — à elle seule évaluée à 13 milliards — était sérieusement investie. Mais encore faut-il que les États y croient, que les politiques sortent de la langueur règlementaire pour structurer un véritable marché du livre. À ce jour, seuls cinq pays africains (dont la Côte d’Ivoire et le Cameroun) disposent de lois spécifiques sur le secteur. Les autres naviguent à vue.
Un livre importé, un lectorat en jachère
Dans cette industrie qui devrait être un bastion de souveraineté culturelle, l’Afrique importe l’essentiel de ses livres. En 2023, elle a déboursé 597 millions de dollars pour les acheter ailleurs… et n’en a exporté que 81 millions. Résultat ? Une dépendance criante, notamment envers les éditeurs français et britanniques, et une invisibilisation des 2 000 langues africaines, balayées par les trois hégémonies coloniales : anglais, français, portugais.
Le problème ne s’arrête pas là. Une librairie pour 116 000 habitants, 8 000 bibliothèques pour tout le continent, un taux de TVA appliqué aux livres dans plus de la moitié des pays : lire devient un luxe. Et écrire, un combat.
Numérique, jeunesse et résilience
Mais l’Afrique n’est pas ce continent figé qu’on fantasme. Elle invente. Elle s’adapte. Des maisons d’édition comme NENA (Sénégal) ou Akoobooks (Ghana) défrichent l’édition numérique, contournent les pénuries de papier, inventent l’audio-livre en langues locales. Des écrivains publient via WhatsApp, des nouvelles flash s’échangent de téléphone en téléphone comme autrefois les contes au coin du feu.
Et surtout, des jeunes — souvent formés à l’étranger — rentrent avec l’envie de bousculer l’ordre établi. À Dakar, à Kigali, à Lusaka, ils créent leurs propres maisons, improvisent des festivals, se battent pour faire vivre la lecture dans les marges.
De la survie culturelle à la souveraineté narrative
Ce que dit ce rapport, en filigrane, c’est que le livre africain est moins en crise qu’en gestation. Il n’a pas échoué, n’a pas disparu. Il attend simplement qu’on lui donne les moyens d’exister pleinement. Que les États cessent de le voir comme un accessoire littéraire ou un produit de salon. Qu’ils en fassent une priorité stratégique. Car sans livres, pas de lecteurs ; sans lecteurs, pas de citoyens. Et sans citoyens, pas de démocratie.
Ce n’est pas une question de nostalgie, ni même de culture. C’est une question de pouvoir. « Ce nouveau rapport de l’UNESCO démontre la nécessité de renforcer les politiques publiques pour le livre et la lecture afin que les histoires africaines puissent être écrites, publiées et lues. Il faut ainsi investir pour entrainer le continent dans le sillage de ses grands auteurs et de ses talents. », a déclaré Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, à l’occasion de la parution de ce rapport.
Écrire pour vivre, éditer pour exister
L’UNESCO le dit à sa manière, académique, mais claire : le livre peut être un levier de développement durable en Afrique. À condition de structurer la filière, de former, de numériser, de traduire, de distribuer, de valoriser. Bref, à condition de croire que l’histoire d’un peuple commence là où il apprend à se raconter lui-même.
Et si l’Afrique veut cesser d’être regardée comme une matière première à exploiter ou un terrain de jeu pour ONG, elle doit investir dans sa première industrie souveraine : celle de la parole écrite.
Parce qu’un continent sans éditeurs, c’est un continent qui parle avec la voix des autres.
Chiencoro Diarra
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