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La brousse dans la cité : deux animaux tombés pour l’urbanisation

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Un buffle abattu sur l’asphalte de Ouagadougou, un éléphant terrassé au cœur du marché de Bobo-Dioulasso. En une seule journée, le Burkina Faso a vu la brousse s’inviter brutalement en ville. Ces scènes tragiques ne disent pas seulement l’urgence sécuritaire face aux bêtes affolées ; elles révèlent surtout la faillite d’une urbanisation incontrôlée et d’une conservation faunique délaissée, où l’homme et l’animal se retrouvent piégés dans une cohabitation impossible.

Un buffle foudroyé sur le bitume de Ouagadougou, un éléphant terrassé au milieu du marché de Bobo-Dioulasso : voilà les images cruelles qui, en une journée, rappellent à quel point l’Afrique vit désormais sur une ligne de fracture entre la modernité urbaine et une faune sauvage reléguée à l’étroit. Le spectacle de ces abattages en pleine rue — quatre balles de gros calibre pour abattre le pachyderme, une rafale sèche pour neutraliser le buffle — n’est pas seulement l’illustration de l’urgence sécuritaire. C’est aussi, et surtout, la démonstration sanglante de ce que coûte l’urbanisation anarchique, le braconnage, la fragmentation des habitats naturels.

La cohabitation forcée, faute de vision

Il y a quelque chose de dérangeant, presque de symbolique, à voir un éléphant — roi des savanes, figure totémique de l’Afrique des origines — s’effondrer dans le vacarme des échoppes et des vuvuzelas. Non pas terrassé par un chasseur, ni par un braconnier à l’ombre d’une réserve, mais par les forces de sécurité d’un État acculé à choisir entre la vie des citadins et le maintien d’un mythe. En quelques minutes, ce colosse des steppes est devenu un danger public, et son abattage, une fatalité.

De Ouaga à Bobo, la même scène. L’animal, d’abord curieux, devient menaçant parce qu’enfermé dans un labyrinthe de béton et d’asphalte. Le buffle de Balkuy, affolé par les motos et les klaxons, fonce sur la foule comme pour rappeler qu’il n’est pas un bovin docile, mais une force brute de la nature. L’éléphant de Kuinima, lui, n’avait que déplacé quelques étals avant que la panique humaine, comme toujours plus dévastatrice que le danger réel, n’impose son exécution.

Derrière ces faits divers se cache une vérité plus vaste : l’Afrique perd ses frontières invisibles entre l’homme et la faune. Les couloirs écologiques disparaissent, les forêts s’amenuisent, les villages deviennent villes et les villes, métropoles. Résultat : les lions ne rugissent plus que dans les zoos, les éléphants errent jusqu’aux carrefours, et les buffles deviennent des intrus condamnés à mort. La cohabitation forcée, faute de vision, se solde par des cadavres géants sur le bitume.

Inventer une stratégie crédible de coexistence

Faut-il blâmer les forces de sécurité ? Non. Elles ont choisi la vie des riverains face à l’imprévisible. Mais le vrai procès est ailleurs. Il vise l’absence de dispositifs modernes de capture, la lenteur des programmes de conservation, et l’incapacité des États à anticiper. Les éléphants ne connaissent ni les frontières administratives ni les cadastres urbains ; ils suivent des routes ancestrales que l’homme a barrées de goudron et de béton.

Au-delà de l’émotion, nul ne peut s’empêcher d’y voir une métaphore : dans le tumulte d’un continent en mutation, l’animal sauvage incarne cette part d’Afrique que l’on sacrifie chaque jour sur l’autel d’un développement précipité. Quand un éléphant tombe à Bobo, ce n’est pas seulement une bête qui meurt ; c’est une civilisation qui renonce un peu plus à son équilibre millénaire avec la nature.

Reste une question, lancinante : combien d’animaux devront encore tomber dans nos rues avant que les capitales africaines n’inventent une stratégie crédible de coexistence ?

Chiencoro Diarra 


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