Home A la Une John Mahama en tournée dans l’AES : diplomatie du pragmatisme ou repositionnement stratégique ?

John Mahama en tournée dans l’AES : diplomatie du pragmatisme ou repositionnement stratégique ?

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En visitant successivement le Mali, le Niger et le Burkina Faso, le président ghanéen John Dramani Mahama marque un tournant diplomatique majeur, privilégiant le dialogue et la coopération avec l’AES sur les questions économiques et sécuritaires.

Il y a des tournées officielles qui relèvent du simple protocole. Il y en a d’autres, plus rares, qui traduisent une réorientation géopolitique majeure. La visite du président ghanéen John Dramani Mahama dans les trois pays de la Confédération des États du Sahel (AES) appartient incontestablement à la seconde catégorie. Mali, Burkina Faso, Niger, en l’espace de trois jours, Accra a multiplié les gestes de rapprochement avec ses voisins sahéliens, bousculant ainsi les équilibres traditionnels de la CEDEAO et redéfinissant sa propre stratégie d’influence.

Si cette tournée traduit une volonté de décrisper les tensions entre l’AES et la CEDEAO, elle est aussi une manœuvre soigneusement réfléchie. Pourquoi Mahama tend-il aujourd’hui la main à des régimes de transition qui ont claqué la porte de la CEDEAO ? Simple diplomatie ? Pas uniquement. Derrière ce rapprochement se cache une série d’intérêts économiques, stratégiques et énergétiques cruciaux pour le Ghana.

Accra-Koulouba, une relation à renforcer pour garantir l’accès aux corridors commerciaux

C’est à Bamako, le 8 mars, que John Mahama a entamé son périple sahélien. Accueilli avec les honneurs militaires par le Général Assimi Goïta, le chef d’État ghanéen a immédiatement donné le ton. Le temps des postures rigides entre la CEDEAO et l’AES est révolu, place au dialogue et à la coopération concrète.

Au menu des discussions, sécurité et intégration économique. Le président ghanéen n’a pas caché son ambition de fluidifier les échanges entre Accra et Bamako, notamment via le corridor sud, axe vital pour l’approvisionnement du Mali enclavé. Pour le Ghana, un accès facilité aux marchés sahéliens représente un atout économique de taille, à l’heure où la sous-région se redessine autour de nouveaux équilibres commerciaux.

Mais le dossier brûlant, c’est bien celui de la fracture entre l’AES et la CEDEAO. Mahama le sait. Si la rupture est actée politiquement, elle n’est pas irréversible diplomatiquement. D’où son plaidoyer pour un dialogue apaisé entre les blocs, à rebours de l’intransigeance affichée par certains leaders ouest-africains.

« Nous sommes frères et nous sommes appelés à vivre ensemble. Le manque de confiance doit être corrigé afin qu’un respect mutuel puisse exister », a-t-il martelé, en s’engageant à jouer le rôle de médiateur entre l’AES et la CEDEAO.

Mais Accra ne cherche pas seulement à jouer les pacificateurs. Le Ghana veut surtout s’assurer que le Mali, malgré sa rupture avec la CEDEAO, continue à privilégier le port de Tema pour ses exportations et importations, plutôt que de se tourner vers d’autres options comme la Mauritanie ou l’Algérie.

À Niamey, une offensive diplomatique pour la stabilité régionale et l’or

Deuxième escale : Niamey, le 9 mars 2025, où John Mahama a été reçu en grande pompe par le Général Abdourahamane Tiani. Un accueil qui en dit long sur la volonté du Niger d’affirmer sa place dans cette recomposition diplomatique.

Pour Accra, le Niger représente bien plus qu’un simple voisin en crise avec la CEDEAO. C’est un partenaire clé sur le plan minier, riche en ressources naturelles et dont la production d’uranium et d’or intéresse fortement les opérateurs ghanéens.

En renforçant les liens avec Niamey, Mahama cherche à positionner les entreprises ghanéennes sur le marché nigérien, notamment dans les secteurs minier et énergétique. De plus, une relation solide avec le Niger permettrait d’anticiper et de contenir toute expansion du terrorisme vers le sud du Ghana, un scénario que redoutent les autorités d’Accra.

Le message est clair. Le Ghana ne veut pas voir l’AES évoluer en autarcie, et l’AES, de son côté, n’a aucun intérêt à se couper des États ouest-africains pragmatiques. Niamey, qui a déjà tourné la page CEDEAO, sait que les alliances se jouent désormais sur un rapport de force économique et militaire. Et dans ce jeu, Accra reste un partenaire incontournable.

Ouagadougou-Accra, une connexion stratégique pour l’énergie et les infrastructures

Troisième et dernière étape : Ouagadougou, le 10 mars 2025, où Mahama a été reçu par le Capitaine Ibrahim Traoré. Loin des discours feutrés de la diplomatie classique, cette rencontre a donné lieu à des annonces concrètes.

D’abord, un vol direct quotidien entre Ouaga et Accra. L’objectif ? Faciliter la mobilité des hommes d’affaires et des travailleurs, et ancrer un peu plus le Burkina Faso dans la dynamique d’un commerce extraverti vers l’océan Atlantique.

Ensuite, un projet de gazoduc entre le Ghana et le Burkina Faso, destinés à sécuriser l’approvisionnement énergétique d’un pays où l’électricité demeure un enjeu stratégique.

Pourquoi cet intérêt soudain d’Accra pour le Burkina Faso, en pleine rupture avec la CEDEAO ? Parce que Mahama sait que le pays est en quête de nouveaux partenaires énergétiques, après des mois de tensions avec la Côte d’Ivoire et le Ghana sur l’approvisionnement en électricité.

En devenant un fournisseur énergétique clé pour Ouagadougou, Accra s’assure une position dominante sur le marché de l’énergie dans la sous-région et évite que le Burkina ne se tourne vers l’Algérie ou d’autres partenaires pour ses besoins énergétiques.

Mais plus que tout, les questions sécuritaires ont occupé une place centrale. Mahama et Traoré partagent une même lecture du péril djihadiste. Une menace transnationale, qui ne peut être vaincue qu’avec une coordination militaire accrue. « Le terrorisme est un cancer qui exige une réponse commune », a insisté le président ghanéen, en appelant à une mutualisation des efforts entre Accra et Ouagadougou.

Un réalignement en marche ?

En trois jours et trois capitales, John Mahama a redéfini la posture du Ghana face aux bouleversements ouest-africains. Là où Abuja campe sur une ligne dure vis-à-vis de l’AES, Accra privilégie la voie du pragmatisme. Commerce, énergie, sécurité : loin des querelles institutionnelles, le président ghanéen veut ancrer son pays comme un partenaire économique et stratégique incontournable pour les trois États sahéliens.

Une prise de position qui ne manquera pas de susciter des remous au sein de la CEDEAO, où le Ghana, traditionnellement proche du Nigeria, semble aujourd’hui jouer sa propre carte.

Un réajustement tactique ? Un virage stratégique ? Une chose est sûre. Accra regarde désormais autant vers Bamako, Ouagadougou et Niamey que vers Abuja. Et dans cette recomposition régionale, Mahama vient de poser ses premiers jalons.

Chiencoro Diarra 


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