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Iran–Israël : L’abîme comme projet

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Alors que les missiles strient les précieux du Levant et que les morts s’accumulent dans un silence assourdissant, le monde, lui, regarde, hésite, ou détourne les yeux. Le conflit Iran-Israël, avec l’entrée en scène des États-Unis, dépasse les enjeux stratégiques pour interroger brutalement notre époque : peut-on encore parler de morale, d’humanisme, ou même de civilisation, quand la guerre devient la norme, et la paix, une parenthèse ironique ?

C’était un vendredi. Le 13. Comme si le destin, moqueur ou tragique, avait choisi de cocher toutes les cases du mauvais présage. Ce jour-là, dans un ciel lourd de menaces et de satellites, Israël lançait l’opération « Rising Lion », une frappe massive et surprise contre les installations nucléaires iraniennes. En quelques heures, Natanz, Fordow et Téhéran devinrent les épicentres d’un séisme militaire et moral, déclenchant ce que l’Histoire retiendra peut-être comme le début du premier conflit direct et assumé entre les deux puissances du Levant. À l’heure où le monde peine à digérer les retombées d’une guerre en Ukraine ou d’une paix déchue à Gaza, une autre mèche s’est allumée — plus ancienne, plus profonde, plus toxique.

L’humanité, un vestige de façade

Israël, fidèle à une doctrine de survie gravée dans la peur de ses origines, justifie sa frappe comme un acte préemptif. « Un danger clair et présent », martèle Netanyahu. L’Iran aurait été à deux doigts d’acquérir l’arme nucléaire. Deux doigts, donc deux bombes. C’est l’argument. Mais ce qui, hier encore, relevait de la dissuasion diplomatique, a soudainement basculé dans l’irréversible.

Et comme toujours, dans ce théâtre de la fureur programmée, les États-Unis ne tardent pas à entrer en scène. Le 22 juin, Washington frappe à son tour. Opération « Midnight Hammer » : bunker-busters, missiles Tomahawk, sept B-2 furtifs, tout y passe, sauf le doute. La voix de Trump résonne à la télévision : « L’Iran a été oblitéré ». On croirait entendre un général de cartoon, mais c’est bien la première puissance militaire du monde qui parle ainsi de la seconde nation chiite de la planète. L’hyperbole est devenue doctrine. Et le tragique, routine.

Alors, Téhéran réplique. Par salves. Par drones. Par barrages de missiles qui strient le ciel d’Israël et font descendre des familles entières dans des abris. À Tel-Aviv, Jérusalem, Haïfa, les sirènes remplacent les prières. On enterre les morts, on soigne les blessés. Mais ce sont surtout les vivants qui souffrent. Les civils, ces anonymes sacrifiés à l’autel de stratégies militaires conçues dans des salles où le mot « humanité » n’est plus qu’un vestige de façade.

La guerre devenue l’horizon de notre modernité

Le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, s’enferme dans son bunker, désigne des successeurs, promet la vengeance. À distance, les Houthis applaudissent et lancent leurs propres roquettes, comme un écho périphérique à une guerre qui ne leur appartient même pas. Quant aux morts, ils s’accumulent. Les chiffres tombent comme des pierres : 639 tués en Iran, 24 en Israël. Et d’autres viendront. Car ici, chaque missile porte en lui la promesse d’un autre.

Au-delà des bilans, des conférences de presse et des cartes des frappes, une question s’impose : que reste-t-il de la morale dans la conduite du monde ? Où sont passés les principes qui devaient guider les puissances ? La proportionnalité, la justice, la retenue ? La guerre n’a jamais été belle. Mais elle fut autrefois un dernier recours. Elle est devenue aujourd’hui un outil de diplomatie musclée, un levier électoral, un tweet en 3D. On tue, puis on justifie.

Et pourtant, l’histoire regorge d’avertissements. Hiroshima. Bagdad. Gaza. On connaît les ravages, on connaît les échecs. Mais rien n’y fait. Le monde, en 2025, persiste à faire de la force brute un projet politique. L’humanisme est relégué aux conférences, aux rapports d’ONG, aux débats sans conséquences. Kant n’est plus qu’une citation dans un PowerPoint de l’UNESCO.

Au nom de quoi, aujourd’hui, un État peut-il frapper un autre sans que le monde ne s’indigne unanimement ? Au nom de la sécurité ? De la prévention ? De la civilisation ? La guerre, dit-on, est vieille comme l’homme. Peut-être. Mais ce n’est pas une raison pour en faire l’horizon de notre modernité.

Une guerre sans morts

Et que dire du silence, complice ou tétanisé, des puissances régionales ? Des appels à la « désescalade » qui tombent aussi vite que les missiles ? Du Conseil de sécurité, qui se réunit, parle, et repart déjeuner ? En attendant, le prix du baril explose, les marchés chancellent, le détroit d’Ormuz menace de se fermer, et l’idée même de paix devient une absurdité conceptuelle.

Ce conflit n’est pas simplement un affrontement entre deux États. C’est un miroir moral tendu à l’humanité. Un test de notre capacité collective à dire non à l’horreur avant qu’elle ne devienne habitude. Une question existentielle posée à une communauté internationale qui n’en finit plus de se fragmenter.

Alors, faut-il croire encore à la diplomatie, à la médiation, à l’humain ? Oui. Car c’est notre seule issue. Non pas parce qu’elle garantit la paix, mais parce qu’elle reste la seule forme de guerre civilisée que l’on puisse encore accepter. Une guerre sans morts.

Chiencoro Diarra 


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