Déjà auteur de trois ouvrages : « Féminitude » (Innov Editions 2017), « La société close et ses militants » (2019), et « L’homme sirène » (Prostyle Éditions, 2020), le journaliste, écrivain, blogueur et professeur de philosophie au secondaire vient d’étoffer sa bibliographie avec un 4e ouvrage intitulé « Bintou, une fille singulière » paru en 2021 aux Éditions La Sahélienne, un roman philosophique à l’image des premiers qui dresse sans concession un portrait peu reluisant d’une société malienne en proie à un syncrétisme de maux notamment la mal gouvernance et les crises incessantes entre autres. Des thématiques qui gravitent autour d’une jeune fille Bintou, dotée d’une maturité intellectuelle hors pair qui à travers une démarche philosophique tente d’apporter des réponses aux moult préoccupations de notre société. Nous nous sommes entretenus avec l’auteur autour de son livre.
Aujourd’hui-Mali : Bonjour, présentez-nous votre ouvrage, « Bintou, une fille singulière » !
C’est un roman philosophique publié chez les éditions La Sahélienne. À travers cet ouvrage, je hausse ma voix pour réclamer la philosophicité des questions enfantines. À travers Bintou, une fille singulière, j’invite à un changement de mentalité sur la vie enfantine. Généralement, dans nos sociétés, nous n’accordons pas assez de crédits aux questions que nous posent les enfants. Pourtant, ils cultivent leur intelligence à travers ces questionnements.
En plus de cet aspect, je montre mon opposition aux considérations qui font croire que la philosophie académique est la seule véritable philosophie. J’estime que les « enfants sont les premiers philosophes de l’humanité ».
La transmission du patrimoine matériel et immatériel traverse également ce roman de long en large. Car Bintou est celle qui portera en elle la quasi-totalité du patrimoine de son père. Même la riche bibliothèque de celui-ci.
Qu’est-ce qui caractérise l’héroïne du livre qui se démarque de ses frères de la fratrie et des jeunes de son âge ?
Elle se caractérise surtout par sa prématurité, sa curiosité, sa passion pour le savoir. Bintou, l’héroïne du roman, surprend le lecteur par ses interrogations, souvent restées tabous, et auxquelles elle apporte des réponses au cours de ses discussions avec son père, Amadou, professeur de philosophie de son État. Elle est surnommée « la philosophe » en raison de ses multiples questions qui embarrassent l’entourage et auxquelles personne n’ose y répondre. La petite veut tout savoir sur tout : la vie et la mort, le bien et le mal, la justice et la politique, la société de façon générale.
Quelque part, l’on pourrait dire que le cas de Bintou interpelle sur le désintéressement des filles à la philosophie ?
Bien sûr ! Cette lecture est tout à fait juste. Au Mali comme dans maintes autres sociétés, les femmes sont rares sur le terrain de la philosophie. Au lycée, où on commence à enseigner la philosophie aux enfants dans notre pays, rarement les professeurs font mention de femmes philosophes. Je me rappelle encore qu’à maintes reprises des élèves m’ont interrogé pour savoir s’il existait des femmes philosophes.
C’est en raison de cette situation, qui s’apparente à une discrimination, que le père de Bintou avant sa mort s’est fait des soucis pour la vie de sa fille. Ce qui lui a conduit à lui conseiller certains comportements.
Ce livre est donc aussi une interpellation sur le taux insuffisant de filles dans ce domaine qui promeut la réflexion critique et personnelle.
La chance de Bintou ne serait-elle pas d’avoir un père qui l’a aidé dans sa démarche ? Chance que tout le monde n’a pas… !
Avant que son père se rende compte de sa situation, Bintou commençait à piquer une forme de crise. Après les cours, elle s’enfermait seule dans sa chambre et tentait de trouver des réponses à ses interrogations à travers des réflexions personnelles. Cela parce qu’elle avait compris que nul ne voulait « lui accorder du temps à ses questions ». La situation de la jeune fille inquiétant sa maman, celle-ci informera le père de la jeune fille. C’est ainsi qu’on lui évite une véritable crise psychologique.
L’enfance reste un mystère pour les adultes bien que nous ayons tous traversé cette phase. Les enfants sont des maitres du questionnement. Dans nos familles, on privilégie rarement le dialogue avec ces « petits de l’homme » qui posent incessamment de questions sur tout ce qu’ils voient ou entendent. Le manque de réponse à leurs interrogations peut être assez frustrant pour eux. Des pays ayant compris cet aspect ont inséré dans leur programme scolaire ce qu’on appelle « la philosophie pour enfant ».
Vous profitez de l’ouvrage pour parler de la philosophie ainsi que les pensées des philosophes, est-ce une façon pour vous d’« enseigner » cette discipline à vos lecteurs ?
Pas forcément ! Je dirai plutôt une invitation à l’endroit des professeurs de philosophie, des concepteurs des programmes d’enseignement à veiller surtout au centre d’intérêt des enfants. J’exhorte à un changement d’approche en ce qui concerne la méthode d’enseignement de cette discipline au secondaire où, en réalité, on assiste à beaucoup d’amalgames. Il convient plus de privilégier la discussion dialectique avec les jeunes lycéens, entre eux, que des cours magistraux comme si on avait à faire à un programme d’histoire et de géographie.
Votre ouvrage n’épargne pas la démocratie et la mal gouvernance en Afrique. Vous avez trouvé le juste milieu pour en parler… !
Ce roman se veut un ouvrage didactique ou si vous voulez pédagogique. Plusieurs thématiques y sont abordées à travers les discussions de l’enfant et son père. Donc, la politique, notamment la démocratie comme régime où la guerre des intérêts personnels met en péril constamment la stabilité de nos États, occupe une place remarquable dans l’ouvrage. Mais dans les échanges de Bintou et son père, vous comprendrez que les maux dont souffrent la plupart des États démocratiques modernes sont attribués à la fois aux citoyens et aux gouvernants. En un mot, chacun a sa part de responsabilité dans les maux de ces États.
Un passage du livre dit : « Être un vrai philosophe, c’est devenir en quelque sorte un mécréant pour certaines personnes », ce n’est-il pas le cas ?
C’est loin d’en être. C’est une conception erronée de la philosophie. C’est d’ailleurs ce que je dis couramment : quelqu’un qui tient un tel discours, il faut douter de son degré d’intellectualisme. D’abord en philosophie comme dans la vie courante, nous avons ceux qui croient et ceux qui ne croient ; ceux qui prouvent qu’il existe un Dieu et ceux qui nient qu’il en existe.
Cette critique adressée aux philosophes ou à la philosophie manque à tout point de vue de la crédibilité. Les mêmes qui disent que les philosophes sont des mécréants, ce sont les mêmes qui soutiennent que tout le monde est philosophe. En conclusion, tout le monde ne serait-il pas mécréant ?
Vous parlez également de la condition féminine notamment de la jeune fille, du mariage précoce et de l’égalité du genre… !
À travers la problématique de la transmission du patrimoine, le lecteur pourrait se rendre compte d’une certaine révolution, pas révolution en tant que soulèvement, mais changement ou progrès social. Les femmes sont peu considérées dans la transmission des patrimoines matériels et immatériels dans nos sociétés. Pourtant, ce roman fait bien état d’une transmission de patrimoine à une jeune fille. À ce titre, il participe à la promotion des droits de la femme. À travers Bintou, je tente de briser certains préjugés dont les femmes sont victimes. Je dénonce certaines violences faites aux femmes, notamment le mariage précoce, la discrimination.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Comment vivre dans un pays comme le Mali et ne pas avoir de projet d’écriture et surtout s’il est vrai que « toute philosophie est fille de son temps ». Depuis plus d’une année, je travaille sur un roman sur la situation des orphelins de guerre. Je compte le boucler pour publication avant décembre 2021.
Réalisée par Youssouf Koné
Source : Aujourd’hui-Mali
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