Au Mali, il est de plus en plus distillé que la création d’établissements scolaires par des opérateurs économiques n’est pas permise. Cette explication relève d’une mauvaise interprétation des textes. Les opérateurs économiques peuvent être autorisés à créer des établissements secondaires, mais pas les gérer.
Afin d’éviter toute interpellation pour violation de la loi régissant la création et l’ouverture des établissements d’enseignement privé au Mali, des promoteurs ont inventé un moyen pour contourner la loi. Selon l’article 6 du « Décret 94-276/PRM du 15 août 1994 fixant les modalités d’application de la loi portant statut de l’enseignement privé en République du Mali », il est précisé : « Nul ne peut être autorisé à diriger un établissement privé s’il ne possède, au moins, l’un des diplômes exigés pour enseigner et une expérience pédagogique certifiée ; [NDLR] s’il est en service dans l’administration publique ou dans une structure parapublique. »
Pour se mettre à l’abri des conséquences de cette loi, des promoteurs ont trouvé une méthode idéale.
« Avoir une équipe de professionnelle dans l’administration scolaire »
L’afflux des opérateurs économiques dans le secteur de l’enseignement privé fait couler beaucoup d’encre au Mali. Magansiré Diakité, secrétaire général adjoint de l’Association des écoles privées agréées du Mali (AEPAM) regrette que toute catégorie de personnes se retrouve promoteur d’établissement d’enseignement privé au Mali. Or, précise-t-il, la loi est claire en la matière : être sortant de l’École normale supérieure (ENSUP) de Bamako, pour le secondaire ; et de l’Institut de formation de maitres (IFM), pour le fondamental et le secondaire, etc.
La décision de création (encore appelée Agrément) et d’ouverture, conformément au Décret de 1994, est délivrée par le ministre de l’ordre d’enseignement, donc du ministre de l’Éducation nationale, pour le secondaire aussi bien que le fondamental. Avant de délivrer une quelconque décision, celui-ci réceptionne les dossiers de l’établissement, du déclarant ainsi que de l’administration scolaire et pédagogique.
Sadia Kéïta est un ingénieur de formation à Bamako. Il est aujourd’hui promoteur du complexe scolaire Oumar Bah de Kalabancoura, en commune V du district de Bamako. Celui-ci explique que « dans les démarches pour l’obtention de l’agrément, ce qui est surtout exigé, c’est d’avoir une équipe de professionnelle dans l’administration scolaire ».
Une fois l’agrément acquis
Pour se conformer à cette exigence, précise un professeur à l’université de Ségou, ces opérateurs économiques « introduisent les dossiers d’enseignants qualifiés pour avoir l’autorisation de création. Généralement ces enseignants sont nommés directeurs ou censeurs ». Notre source indique avoir été victime de cette situation lorsqu’il enseignait dans un lycée privé à Sébénicoro, commune IV du district de Bamako. D’ailleurs, il n’est pas le seul, cet autre professeur à Kalaban-Coro, dans le cercle de Kati, confie également son cas : « Le promoteur d’un établissement privé m’a demandé de lui permettre de joindre mes dossiers à sa demande de création. J’étais nommé d’office proviseur ». Mais quelques années après, il raconte avoir été mis à la porte par le promoteur.
Nombreux sont les établissements secondaires privés créés par des opérateurs économiques à Bamako. Pour nous en convaincre, nous avons cherché à mettre la main sur la décision de création et d’ouverture de certains de ces établissements secondaires dans le cercle de Kati. Les noms qui figurent sur ces décisions sont tous d’opérateurs économiques reconnus au Mali. Certains d’entre eux ont plus d’un établissement privé.
Cette situation fait dire à A. K, proviseur d’un complexe scolaire dans le cercle de Kati, que « ces patrons par procuration se servent de jeunes diplômés sans emplois ».
Selon Seydou Loua, enseignant-chercheur à l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako, à travers des supervisions assidues, l’État peut mettre un terme à cette instrumentalisation des jeunes diplômés sans-emplois par des opérateurs économiques.
« Faire avec les opérateurs économiques »
Dr Seydou Loua explique toutefois qu’il « n’est écrit nulle part que des gens sont habilités à ouvrir des écoles privées et d’autres non ». C’est également l’explication donnée par Fagaye Danioko, professeur de pédagogie à l’École normale supérieure (ENSUP) de Bamako. Les enseignants aussi bien que les opérateurs économiques ont tous le droit d’ouvrir des écoles privées, a indiqué M. Loua. L’essentiel est de confier la gestion administrative de l’établissement à des professionnels de l’éducation, précise M. Loua. Car « l’administration scolaire est un métier ». Toutefois, il indique que « souvent les autorités peuvent fermer les yeux sur certains manquements pour éviter des fermetures d’établissement » qui ne feront qu’aggraver la crise scolaire dans le pays.
Bien vrai que l’État ne soit pas en mesure de scolariser tous les enfants au niveau des établissements publics, il a tout intérêt à mieux réglementer le secteur privé, avertit M. Loua.
Depuis 2017-2018, l’AEPAM se bat au niveau de l’Assemblée nationale pour obtenir un « ordre des enseignants promoteurs », indique Aboubacar Koné du lycée Bafily Traoré de Kabala. Selon Sadia Kéïta, l’échec de cette initiative est dû au profil hétérogène des promoteurs. M. Loua confirme cette position de M. Kéïta. Selon lui, il sera difficile que l’État accepte un ordre de ce genre qui exclurait les opérateurs économiques qui sont pourtant reconnus comme promoteurs. « Sans les opérateurs économiques, rares sont ceux qui peuvent ouvrir des écoles », souligne-t-il avant d’inviter à « faire avec les opérateurs économiques ».
Afin de nous imprégner des raisons du blocage de cet ordre des enseignants promoteurs, nous avons contacté le ministère de l’Éducation nationale ainsi que la Commission éducation de l’Assemblée nationale dissoute, sans obtenir d’explications.
Fousseni Togola
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.