L’école malienne souffre de plusieurs maux. Pour des acteurs et spécialistes de l’éducation, la baisse graduelle du taux d’admission au baccalauréat, l’échec considérable des élèves, s’explique par beaucoup de facteurs dont certains restent liés au système d’enseignement lui-même.
Depuis quatre ans, la flèche du taux d’admission au baccalauréat malien connait une chute graduelle. Cette situation décourage de nombreux élèves qui voient leur espoir d’effectuer des études universitaires tombé à l’eau sans pour autant qu’ils soient entièrement responsables du problème expliquant leur échec. Plusieurs facteurs expliquent cette baisse du taux d’admission à l’examen du baccalauréat malien.
Méthode de recrutement
Au Mali, les écoles privées occupent pratiquement la majorité des établissements du pays. Dans bon nombre de ces écoles, la qualification des enseignants n’est pas un critère lors de leur recrutement. Pour maints de ces établissements, ce qui importe, c’est d’avoir la main-d’œuvre la moins chère. Ce qui les amène généralement au recrutement d’enseignants non qualifiés.
Au niveau fondamental, il n’est pas rare de voir des détenteurs du DEF ainsi dispenser des cours dans les classes primaires de ces écoles privées. Ce qui constitue une violation du « Décret 94-276/PRM du 15 août 1994 fixant les modalités d’application de la loi portant statut de l’enseignement privé en République du Mali ». Ce décret indique ceci :
« Nul ne peut enseigner dans un établissement d’enseignement privé s’il ne justifie au moins de l’un des titres suivants ou d’un titre admis en équivalence au Mali :
A. Enseignement fondamental
1. Maître du premier cycle et instituteur diplômé des écoles de formation de maîtres de l’enseignement fondamental ».
Pour le second cycle, il faut être détenteur d’un diplôme de l’École d’enseignement supérieur ou d’une licence. Des principes qui ne sont pas respectés.
D.D est détenteur d’un diplôme de Brevet de technicien, niveau 1 (BT1) et enseigne dans une école fondamentale privée à Kabala, quartier au sud-est de Bamako. « L’établissement où j’ai commencé mon enseignement, à chaque fin du mois, tous les enseignants recevaient une séance de formation. Mais l’école où je sers maintenant, aucune formation de ce genre n’est organisée », témoigne D.D.
Un autre paramètre de ce problème de qualification des enseignants est l’insuffisance de la formation initiale et continue des enseignants, explique Dr Seydou Loua, enseignant-chercheur au département de Sciences de l’éducation de la Faculté des sciences humaines et sciences de l’éducation de l’Université de Bamako.
Mais, pour Sadia Kéïta, promoteur du complexe scolaire Oumar Ba de Kalaban-coura, dans le district de Bamako, cette violation du Décret de 1994 ne devrait pas être un problème si les écoles privées assuraient une formation continue aux enseignants. Mais rares sont ces établissements qui organisent ces formations à l’intention de leur personnel.
Divagation scolaire
Dans l’enseignement secondaire au Mali, surtout dans les classes de passage (10e et 11e année), les élèves sont envahis par une certaine mentalité : l’impossibilité du redoublement. C’est ce qui explique cette divagation entre les établissements scolaires. Une fois en situation de redoublement dans un établissement, nombreux sont les élèves qui demandent le transfert, avec mention spéciale « passe en classe supérieure ». Le refus de leur établissement de départ les amène à forcer le transfert en vue de continuer dans la classe supérieure.
« Dans la mentalité des élèves, le passage est automatique dans les classes intermédiaires », explique Aboubacar Koné, proviseur du lycée Bafily Traoré de Kabala. Dans son établissement, au titre de l’année scolaire 2019-2020, une trentaine d’élèves avait été proposée au redoublement. Mais, face au refus du proviseur Aboubacar Koné, beaucoup d’entre eux ont fini par quitter son établissement afin de pouvoir s’inscrire dans un établissement de la même Académie de Kati. Cette version est soutenue par le surveillant général du lycée privé Samba Ramata de Tienbani. Une école qui a été victime aussi de la même situation, dans la même Académie.
« Ce sont les parents d’élèves qui soutiennent généralement leurs enfants sur cette voie », nous précise M. Diallo du lycée privé Samba Ramata de Tiébani.
Cependant, aux dires du directeur général du complexe scolaire Oumar Ba de Kalabancoura, Sadia Keïta, cette situation est facile à contrôler puisqu’il existe une base de données aussi bien au niveau des académies qu’au niveau du ministère de l’Éducation nationale. Mais il arrive très souvent que ces bases ne soient pas vérifiées avant de procéder au transfert des élèves — surtout dans la situation de précipitation. « La négligence et le manque de sérieux sont des facteurs qui rendent possible une telle situation », nous indique une source à l’Académie de Kati. Ce qui amène Dr Seydou Loua, enseignant-chercheur à l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako, à soutenir que pour mettre fin à cette divagation scolaire : il faut une bonne gestion du système d’information scolaire.
École à double vitesse
Dans les écoles fondamentales au Mali, les élèves sont formés dans des systèmes d’enseignement différents. Si au niveau des écoles privées, c’est le même système ; au niveau des écoles publiques, c’est l’enseignement bilingue (Bamanankan français). Au niveau de ces établissements également, ce système bilingue n’est pas appliqué partout, précise Abdoulaye Koné, directeur du Centre d’animation pédagogique (CAP) de Kalaban-Coro, dans le cercle de Kati. Selon ce dernier, 67 écoles de son CAP sont concernées par ce système bilingue.
Ainsi, cette hétérogénéité du système rend-elle difficile l’apprentissage à beaucoup d’élèves une fois au second cycle et au secondaire. Ayant des bases d’apprentissage différentes, rares sont les élèves qui réussissent à mieux suivre et comprendre les cours dispensés en français.
Outre cet aspect, au niveau secondaire, l’introduction du nouveau système d’enseignement, l’Approche par compétence (APC), a également sa part de responsabilité dans la baisse graduelle du taux d’admission au baccalauréat. « Depuis son introduction dans l’enseignement secondaire général, il y a près de dix ans, ce système n’a bénéficié d’aucune évaluation afin de connaitre ses forces et ses faiblesses », affirme Magansiré Diakité, secrétaire général adjoint de l’Association des écoles privées agréées du Mali (AEPAM).
Pour la réussite de l’APC au Mali, l’Organisation des Nations unies pour la science et la culture (UNESCO), dans une enquête réalisée en 2006, « l’Approche par compétence dans l’enseignement technique et la formation professionnelle : Bénin, Burkina Faso, Mali », sur l’implantation de l’APC dans l’enseignement technique et professionnel, estime important « la disponibilité des ressources, un cadre législatif et réglementaire adapté, la mise en place d’un système de gestion adéquat, des programmes de formation présentant les qualités et les caractéristiques requises ».
En plus de la non-évaluation du système APC, un problème de formation des enseignants à ce nouveau système se pose. Si au niveau des écoles publiques, des professeurs ont pu bénéficier de quelques formations à ce système, tel n’est pas le cas au niveau des écoles privées. Ce qui entraîne un laisser-aller. Rares sont les lycées privés qui dispensent selon l’APC. « Dans mon établissement scolaire, je n’exige pas l’APC parce que les enseignants ne sont pas formés à ce système », nous indique le proviseur d’un lycée privé à Bamako. Pourtant, aux examens, les sujets sont choisis en fonction de cette approche et les élèves sont évalués selon ses canevas qui sont tout à fait différents de ceux du système classique. L’UNESCO explique pourtant que « le manque de politique de formation continue du personnel a des conséquences néfastes sur la pérennité de l’APC ».
L’exemple des deux écoles
Pour sortir du labyrinthe, certaines écoles privées font appel aux professeurs des établissements publics bien que ces établissements ne remplissent pas également toutes les conditions pour l’implantation de l’APC. Au quartier Hamdallaye ACI 2000, en Commune 4 du district de Bamako, le complexe scolaire privé Cheick Modibo Diarra fait intervenir au niveau secondaire des enseignants des écoles publiques chez lui, nous a expliqué l’administration de cette école. L’accueil des élèves y est également tributaire de certains critères. Pour les transferts entrants, les élèves sont soumis à un test, sans réussite duquel, ils ne seront pas acceptés par l’établissement.
D’ailleurs, la plupart des élèves au secondaire dans cet établissement sont les produits de la formation dispensée par l’établissement depuis le primaire. Ces mesures sont les mêmes au complexe scolaire Sacré cœur de Kalaban-Coro, dans le cercle de Kati.
De ce fait, on dira que ces écoles ne récoltent que les fruits de leur labeur. Chaque année, au baccalauréat, elles se retrouvent avec de très bons pourcentages. Cette année, le complexe scolaire Cheick Modibo Diarra a eu un taux d’admission de plus de 80 % à l’examen du baccalauréat malien, contre 100 % en 2017.
À travers le cas de ces deux écoles, il importe de convenir avec Sadia Kéïta, directeur général du complexe scolaire Oumar Ba de Kalaban-coura, que le véritable problème de l’école malienne est d’une part la mauvaise qualité de l’enseignement dispensé au niveau de l’enseignement fondamental et d’autre part du manque de qualification des enseignants.
D’autres facteurs, tels que les grèves répétitives, la démotivation des élèves, le désengagement des parents d’élèves, le problème de documentation et de matériels didactiques, souligne Dr Loua, peuvent expliquer cette baisse graduelle du taux d’admission à l’examen du baccalauréat malien. Le système scolaire malien a donc besoin d’une véritable refondation.
Fousseni Togola
N.B
Cette enquête a été menée dans le cadre du projet Kenekanko financé par l’Union européenne. Kenekanko est une plateforme de lutte contre la corruption mise en place par Tuwindi, Amnesty international et Free Press Unlimilited. A travers kenekanko.com, les citoyens peuvent alerter les médias partenaires du projet sur des cas de corruption ou de crime économique au Mali.
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