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ÉDITORIAL – « Du bac promo » à la promo zéro : retour sur quinze ans de faillite éducative

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Avec un taux d’admission au bac 2025 de seulement 27,48 %, le système éducatif malien confirme sa descente aux enfers, entre réformes mal maîtrisées, désengagement collectif et dérives numériques non encadrées.

Un chiffre, d’abord. Un seul. 27,48 %. C’est le taux de réussite au baccalauréat malien en 2025. Un taux qui, comme ceux des années précédentes, peine à franchir le seuil des 30 %, désormais devenu une barrière symbolique, presque mythique. À tel point qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un plafond de verre éducatif, gravé dans le granite de notre déclin scolaire. Pourtant, ce chiffre, aussi sec que glaçant, raconte beaucoup plus qu’un simple échec collectif. Il dit l’histoire d’un système qui ne se réforme qu’en façade, d’une pédagogie qui s’est noyée dans ses propres sigles, et d’un pays où l’école a perdu sa boussole — quand elle n’a pas tout simplement déserté le navire.

Le système scolaire confronté à des difficultés 

À bien y regarder, les statistiques dessinent un paysage d’effondrement progressif : 38,75 % en 2021, 25,73 % en 2023, 27,23 % en 2024, puis ce pâle 27,48 % pour 2025. Autrement dit, la génération actuelle n’échoue pas par hasard. Elle hérite non seulement d’un système miné depuis plus d’une décennie, mais aussi bénéficie de la période de la lutte implacable contre la fraude dans les examens et concours. L’année 2008 — 50 % de réussite — fait désormais figure d’eldorado éducatif, une époque où, ironie tragique, les examens furent organisés après une année quasi blanche, avec des surveillants de fortune et un seul trimestre effectif. Preuve, s’il en fallait une, que l’apparence de rigueur ne suffit pas à produire des résultats. La détermination des élèves aussi est un facteur important.

Il faut dire que depuis 2010, l’introduction de l’approche par compétences (APC), sans formation adéquate des enseignants ni manuels adaptés, a brouillé les repères des enseignants et des élèves. L’enseignant n’est plus un transmetteur de savoir, mais un « facilitateur » — encore faut-il qu’il ait les moyens de faciliter quelque chose. En réalité, ce changement de paradigme pédagogique n’a jamais quitté le stade de l’expérimentation mal maîtrisée, abandonnée à des contractuels mal formés, des classes surchargées et des bibliothèques fantômes.

Dans un article publié dans la Revue internationale d’éducation de Sèvre, et qui s’intitule « Les grandes réformes de l’école malienne de 1962 à 2016 », Seydou Loua, explique : « les difficultés d’application de cette réforme curriculaire par l’approche par compétences sont nombreuses. Les enseignants dénoncent notamment l’insuffisance de formations adéquates, de matériels, de temps, de ressources humaines. Beaucoup d’acteurs font une confusion entre la pédagogie convergente et l’approche par compétences, car la convergence entre les langues nationales et le français n’est pas clairement élucidée. »

Les smartphones, les nouveaux tableaux noirs

À cela s’ajoute un effondrement silencieux de la concentration et de la motivation des élèves, happés par TikTok, Instagram et leurs dérives addictives. Les smartphones sont devenus les nouveaux tableaux noirs de cette génération, sauf que rien n’y est enseigné — si ce n’est l’art de l’oubli et de la distraction. Certains misent sur l’intelligence artificielle pour tricher plus habilement, sans même savoir l’utiliser. L’IA, au lieu d’être introduite comme un outil pédagogique structurant, est laissée à la merci des plus débrouillards. Résultat : on ne lit plus, on ne révise plus, on ne rêve même plus d’excellence.

Dans son mémoire intitulé « Impacts des réseaux sociaux sur les élèves du lycée public de Niamakoro », soutenu en 2023 à l’École normale supérieure (ENSUP) de Bamako, Sidiki Konaté explique que les réseaux sociaux sont comparables à la langue d’Ésope : à la fois bénéfiques et néfastes. « Le téléphone portable affecte souvent le bon déroulement des cours et est source de perturbations pendant les heures d’activités. Il entraîne également une distraction de l’esprit des élèves, les détournant des tâches données par l’enseignant en classe. » L’utilisation des réseaux sociaux via le téléphone portable influence donc négativement le processus d’apprentissage et reste une problématique d’actualité. Une problématique pourtant rarement au cœur des recherches dans notre pays. 

Fermer les réseaux et rouvrir les cahiers

À cela, une réponse collective s’impose. Non, le Mali ne manque pas de cerveaux. Il manquait d’une vision, d’un plan, et surtout d’un courage politique pour transformer le système éducatif en profondeur. Un baccalauréat qui exclut 7 élèves sur 10 est un baccalauréat qui ne joue plus son rôle d’ascenseur social, mais celui de broyeur de destinées. C’est ce que les autorités de la transition ont compris en organisant en 2024, les États généraux de l’éducation en vue d’analyser sans complaisance les maux qui minent le système éducatif malien. Le discours du ministre de l’Éducation nationale, Amadou Sy Savané, lors de l’ouverture de ces travaux est assez révélateur : « L’Histoire nous apprend que, à chaque changement de la société, correspondent des changements au niveau de l’éducation. Nous devons dès lors, avec toute l’objectivité requise, examiner tous ces changements et nous y adapter pour le bonheur des enfants du Mali. »

Il faut repenser l’école avec et pour les réalités maliennes, et non pas plaquer des modèles venus d’ailleurs, sans traduction possible sur le terrain. Il faut intégrer l’IA, encadrer l’usage des smartphones, investir dans les manuels et les bibliothèques, former les enseignants à la nouvelle donne, et surtout, replacer l’effort et le mérite au centre de l’apprentissage. Il est temps de fermer les réseaux et rouvrir les cahiers. Car le vrai scandale aujourd’hui, ce n’est pas que 72 % des candidats échouent. C’est que tout le monde s’y soit habitué.

Chiencoro Diarra 


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