Acteur culturel malien depuis des années, donso, écrivain et enseignant-chercheur, Dr Fodé Moussa Sidibé, drapé dans une tenue traditionnelle africaine, nous a accordé, le jeudi dernier, un entretien sur la culture malienne et africaine. Dans cette deuxième partie de notre entretien, l’acteur culturel explique la différence entre donso et chasseur et la conception africaine de la femme.
Phileingora : Vous êtes membre de la confrérie donsoya. Pouvez-vous nous parler de cette confrérie ?
Fodé Moussa Sidibé : c’est un regroupement des donso auquel on accède par initiation. Tant qu’on n’est pas initié, on n’est pas donso. Il y a également une différence à faire entre le donso et le chasseur. Les deux ne sont pas les mêmes.
C’est une incompréhension de désigner un donso par le mot chasseur. C’est une dénomination qui limite la fonction, le rôle du donso à juste aller abattre du gibier. Or, ce n’est pas la chasse qui est la plus importante pour le donso.
Qu’est-ce qui est plus important, alors ?
C’est l’acquisition du savoir. Le donso est une personne qui dédie sa vie à l’acquisition du savoir traditionnel. C’est pourquoi on est donso durant toute sa vie. Chaque donso a obligatoirement un maître.
Cette dénomination donso n’existe dans aucune autre langue que les langues bamanan et mandenka. Elle est actuellement déformée en « dozo » par les Dioula de Côte d’Ivoire. Or ce mot ne correspond à rien.
Le donso ne fait-il pas de chasse ?
Certes, il y a la chasse dans la donsoya, mais cela ne veut pas dire que la donsoya se limite à la chasse. Les donso sont des initiés ou en cours d’initiation avec des règles bien précises qui sont dans la confrérie et qui s’appliquent à tous les adhérents. Ces règles sont, en fait, le fondement de toutes les valeurs culturelles de notre société.
De quelles valeurs culturelles de notre société voulez-vous parler ?
On peut citer, entre autres, la discipline, le respect, le culte des anciens, la fraternité universelle, l’amour de la terre des ancêtres, le patriotisme, le civisme, l’attachement indéfectible à la nature, etc. Il faut y ajouter le respect de l’autorité, de la légalité et de l’ordre consensuel établi. Le donso entretient également l’amour de la Création qu’il s’efforce de protéger en tout lieu. Il est adepte des croyances (religions) traditionnelles qu’il anime de différentes façons.
Tout en adoptant certains changements, le donso vit par et pour sa tradition multiséculaire qu’il célèbre à travers son comportement, sa tenue, sa musique, ses récits, ses chants et ses pas de danse. En somme, « le donso est l’homme de son temps et l’homme des Temps ».
Quelle est la situation de cette confrérie au Mali, de nos jours ?
Cette confrérie évolue très bien. Tout comme dans notre histoire, le donso se dévoue à la protection des personnes et de leurs biens apportant ainsi une contribution de taille à la sécurisation de nos villages et hameaux. Il assure la santé physique et mentale des populations. Par ailleurs, les rencontres culturelles qui drainent aujourd’hui le plus de monde au Mali, sont les veillées des donso. Il ne faut pas négliger l’apport de la confrérie dans le répertoire musical national dont plusieurs compositions avec des instruments modernes sont inspirées du patrimoine musical des donso.
Cependant, de nos jours, les ennemis intérieurs et extérieurs du peuple malien, dans leurs entreprises de déstabilisation de notre pays, ont fait passer les donso pour « des milices, des bandits armés »selon la phraséologie de certaines presses. Ils ont intentionnellement assimilé les donso aux différents types de regroupements d’hommes armés que l’on retrouve dans certains conflits en Afrique (RDC, Centrafrique, etc.).
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
On a voulu faire passer les donso pour des gens qui tuent gratuitement des populations innocentes. Ces ennemis du Mali feignent d’ignorer « l’exception malienne » en termes de cohésion sociale et de solidité de nos institutions socioculturelles depuis les temps immémoriaux.
Le Mali n’est point « un conglomérat d’ethnies ! ». Le Mali est bien une Nation bâtie des siècles avant la colonisation. C’est ainsi que bien avant le treizième siècle, les donso assurent la sécurité des populations et de leurs biens au Mali. L’armée moderne et les services de sécurité ont hérité de cette fonction qui ne couvrent malheureusement pas tout le territoire national. Ce sont les donso qui prennent le relai pour défendre et stabiliser le Pays depuis toujours. Et on n’a jamais parlé de milice ou autre.
Voulez-vous donc dire que « l’armée malienne n’est que la fille de la donsoya » ?
Bien sûr ! L’armée malienne n’est que la fille de la donsoya. Nous sommes aujourd’hui fiers de nos empires et royaumes, qui ont existé bien avant la création de l’armée. Pourtant, c’était les donso qui étaient les soldats et les militaires dans ces empires et royaumes. Samory Touré qui s’est opposé à la pénétration française durant 19 ans disposait d’une armée constituée de donso. Par ailleurs, durant les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945, les engés volontaires de notre pays étaient des donso.
Aujourd’hui, s’il y a des bandits qui agressent des villages, il n’y a que les donso pour défendre ces localités.
Pourquoi l’autorisation de la mère est importante pour intégrer la confrérie donso ?
Parce que notre société est spirituellement matrilinéaire. Nous avons vécu le matrilignage avant de venir au patrilignage. Le personnage le plus important dans notre société est la femme, n’en déplaise aux réformistes ! Tout part d’elle et tout lui revient. Seulement nous n’avons pas les mêmes visions du monde que les Occidentaux et les Arabes qui nous ont imposé leurs valeurs à travers leurs religions.
Or, dans ces cultures occidentales, orientales et arabes, la femme a peu de considérations. Dans leur histoire de la création, ils disent que Dieu a créé l’homme et que la femme est sortie d’une côte de celui-ci. Ce qui prouve que l’homme est la créature et la femme est une émanation. Ceci est terrifiant dans la vision purement africaine !
La situation est-elle différente en Afrique ?
Nulle part en Afrique, la femme n’a été minimisée. Nous avons eu des femmes pharaonnes, des reines, de grandes prêtresses, des soldats femmes en Afrique.
Il est vraiment temps que nous réfléchissions par nous-mêmes, que nous changions de paradigmes. Ainsi, nous comprendrons que l’homme et la femme sont perçus comme « COMPLEMENTAIRES ». Donc, il ne saurait y avoir de relations de supériorité ou d’infériorité. L’homme doit faire face à ce qui demande la force presque brutale et la femme ce qui demande la pondération, la réflexion.
Êtes-vous opposé aux mouvements féministes ?
Non, pas du tout ! Je respecte ce mouvement dans le contexte et les circonstances qui ont présidé à sa naissance (continent lointain, période, etc.). Seulement, je ne comprends pas l’acharnement des féministes africaines et maliennes à vouloir transplanter certains comportements dans nos sociétés et en faire des normes pendant qu’elles ignorent « la vision de la femme africaine ». En un mot, je ne partage pas l’orientation de leur combat. Dans nos villages, les femmes sont conscientes qu’elles sont des piliers fondamentaux du foyer (concept du matrilignage). Elles donnent la vie et se donnent le devoir de la protéger. C’est comme si leur mari était leur enfant puisque c’est une femme qui leur a donné naissance. C’est cela la vision africaine du genre.
Mais on parle de plus en plus d’égalité ?
La Nature a horreur de l’égalité. Voyez-vous, la Nature ou Dieu, pour les croyants, n’a jamais créé deux choses égales ou identiques. Il ne saurait y avoir d’égalité dans la Création. Chaque feuille d’un même arbre est unique et jamais égale ! Chaque créature est non seulement unique dans son genre, mais il est impossible d’établir une quelconque égalité à l’intérieur des genres et entre les genres.
Je suis d’accord qu’on parle d’équité entre les genres (gender en Anglais), mais pas d’égalité. Certaines expressions dans la culture occidentale ou arabe ne fonctionnent pas chez nous. Au plan spirituel, car tout part de là, la femme ne peut pas être l’égale de l’homme, elle lui est Supérieure.
On revient à l’adhésion dans la confrérie. Au cas où la mère de celui qui veut adhérer dans votre confrérie ne vit plus, que doit-il faire ?
Vous savez, dans notre société, l’être humain disparaît, mais l’individu social est éternel. Une femme meurt, mais la mère est éternelle tout comme le père, le frère, la sœur, etc. Jusqu’à un certain âge, on a toujours une mère qui n’est pas forcément biologique. Alors, l’autorisation d’adhésion à la confrérie des donso peut être obtenue auprès d’une femme qui est le substitut social de la mère biologique. Cette confrérie s’accorde fondamentalement avec la vision africaine de l’être humain. C’est pourquoi vous ne verrez pas de femmes dans la confrérie.
La confrérie des donso est-elle donc phallocratique ?
La confrérie des donso est loin d’être phallocratique. Elle accorde la plus grande importance et le plus grand respect à la femme en tant que mère, épouse, sœur et fille. Le donso est conscient que sa renommée est plus dans la main d’une femme que dans la sienne propre. Par ailleurs, dans toutes nos sociétés d’initiation traditionnelles, vous trouverez des symboles féminins partout.
Seulement, dans la conception africaine de la personne humaine, celle qui donne la vie ne doit pas détruire la vie car « toute vie est une vie ». C’est la raison pour laquelle vous ne trouverez pas de femme dans la confrérie puisqu’elle serait amenée à abattre des animaux. Si une femme souhaite l’intégrer, elle doit attendre la période de la ménopause, pendant laquelle elle peut chasser, si elle le désire.
Quelle analyse faites-vous de la milice tant décriée dans la région de Mopti ?
Je ne parlerai pas de milice. Non. C’est un terme que nous n’avons pas dans nos langues et nos pratiques sociales. Dans ces villages, il y a juste des hommes, qui sont les donso, et qui sont chargés de la protection des personnes et de leurs biens. Ils se battent contre des envahisseurs afin de protéger les populations et leurs biens. Cela ne fait pas de ces hommes des milices. Ils jouent leur rôle social et communautaire.
Cependant, je suis d’avis que certaines personnes, fortement instrumentalisées, peuvent se déguiser en donso et commettre des crimes odieux en bandes organisées. Ceux-là ne sont guère des donso initiés pour qui « la vie humaine est sacrée ».
Rôle social et communautaire ?
Oui. Dans nos villages, à chaque fois qu’il y a un danger, le donsoba (chef des donso) est informé et celui-ci regroupe rapidement ses hommes pour aller voir ce qui se passe. Il arrive que certains meurent sur le champ d’honneur.
Le donso n’est pas là pour lui, mais pour la communauté. La donsoya est une émanation de notre société. Elle a été érigée en confrérie pour des besoins de survie et d’épanouissement de nos sociétés.
Si Dan nan ambassagou est une milice, il faudrait alors affirmer qu’elle n’est plus constituée de donso initiés. Pour tout initié, la défense de la terre de ses ancêtres est un devoir impérieux auquel nul ne saurait se soustraire. Ceux qui luttent contre des envahisseurs sans foi ni loi en protégeant les populations innocentes ne devraient pas être taxés de milice !
Réalisé par Fousseni Togola et Bakary Fomba
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