Alors que les pays en développement ont versé 741 milliards de dollars de plus qu’ils n’ont reçu en nouveaux financements entre 2022 et 2024, l’Afrique se retrouve en première ligne d’une crise de la dette sans précédent. Dans un contexte de taux d’intérêt élevés et de retrait des créanciers bilatéraux, la Banque mondiale apparaît comme le dernier rempart financier, notamment pour les pays les plus vulnérables du continent. Mais cette embellie pourrait n’être qu’une accalmie avant une nouvelle tempête.
La Banque mondiale s’impose désormais comme la principale source nette de financement pour les 78 pays les plus vulnérables du globe, selon le Rapport sur la dette internationale 2025. Entre 2022 et 2024, les pays en développement ont remboursé 741 milliards de dollars de plus qu’ils n’ont reçu en nouveaux financements — un record absolu depuis un demi-siècle. Et l’Afrique, particulièrement l’Afrique de l’Ouest, se trouve au cœur de ce séisme financier.
Un continent pris dans l’étau financier mondial
L’Afrique subsaharienne est la région la plus touchée par l’érosion brutale de l’accès au crédit international. Dans plusieurs pays, les marges budgétaires se sont évaporées sous l’effet combiné d’un effondrement des recettes d’exportation, d’une inflation persistante et d’un isolement diplomatique accru.
Selon la Banque mondiale, la dette extérieure des pays à faible et moyen revenu a atteint 8 900 milliards de dollars en 2024. Sur ce total, 1 200 milliards concernent les pays les plus pauvres — dont une majorité d’États africains.
Les taux d’intérêt sur les nouveaux emprunts restent prohibitifs : près de 10 % en moyenne en 2024, soit deux fois le niveau d’avant 2020. Une réalité particulièrement pénalisante pour des pays comme le Niger, le Mali ou le Burkina Faso, dont l’accès aux marchés financiers s’est considérablement réduit à la suite des changements politiques des dernières années.
Les États africains pris dans un carrefour géopolitique et financier
Selon le rapport, plus de la moitié des pays africains disposant de données complètes ont vu leur dette intérieure croître plus vite que leur dette extérieure en 2024, accentuant le « nexus souverain-bancaire » : les banques locales préfèrent acheter des titres publics plutôt que financer le secteur privé, paralysant l’investissement productif.
Dans certains États sahéliens, l’impact humain est déjà visible : la Banque mondiale estime que dans les 22 pays les plus endettés du monde, 56 % des habitants ne peuvent pas assurer une alimentation saine.
Malgré la brutalité de ces chiffres, 2024 a apporté un sursaut :
- 90 milliards de dollars de dette ont été restructurés dans les pays en développement, un record depuis 2010.
- Les investisseurs obligataires ont effectué un retour remarqué, injectant 80 milliards de dollars nets dans les pays en développement.
Ce retour, toutefois, ne concerne quasiment pas l’Afrique de l’Ouest, où les risques politiques et sécuritaires découragent les investisseurs. Les pays plus diversifiés — Côte d’Ivoire, Sénégal, Kenya — ont pu émettre de nouveaux eurobonds.
La Banque mondiale devient le principal filet de sécurité
Face à cette contraction des financements, une réalité s’impose :
➡️ En 2024, la Banque mondiale a fourni 18,3 milliards de dollars de financements nets aux pays IDA, plus que tout autre bailleur.
➡️ À cela s’ajoutent 7,5 milliards de dollars de dons, un sommet historique.
Cette position dominante s’explique par le retrait massif des créanciers bilatéraux (–8,8 milliards de dollars nets).
Pour de nombreux pays africains, la Banque mondiale demeure désormais l’un des très rares canaux d’accès à des ressources à faible coût. Dans certains cas, elle représente même le seul créancier disposé à restructurer ou prolonger des échéances.
Un risque de “sommeil vers la crise”
Les experts de la Banque mondiale restent alarmistes. « Les pays en développement ne doivent pas se laisser tromper : ils ne sont pas hors de danger », prévient Indermit Gill, économiste en chef de l’institution. Malgré la baisse récente des taux mondiaux, la dette continue de croître sous des formes « nouvelles et pernicieuses ».
L’institution appelle les gouvernements africains à profiter de la courte fenêtre actuelle pour réformer leurs finances publiques et renforcer la transparence de leur dette. Sans cela, un nouveau choc — géopolitique, climatique ou économique — pourrait déclencher une crise plus grave que celle de 2020-2024.
Les perspectives africaines restent pourtant fragiles.
- La croissance demeure freinée par l’insécurité, la volatilité des matières premières et le climat d’incertitude politique.
- L’Afrique de l’Ouest, malgré des pôles dynamiques (Côte d’Ivoire, Ghana stabilisé, Nigeria en transition), reste vulnérable aux chocs externes.
À défaut de transformer l’embellie actuelle en réformes durables, l’ensemble du continent pourrait replonger dans une crise de la dette systémique — dont l’impact humain serait considérable.
Chiencoro Diarra
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