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Cousinage à plaisanterie : une valeur de stabilité sociale et de paix en voie de disparition au Mali

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Au Mali, comme dans beaucoup d’autres pays de la région ouest-africaine, le cousinage à plaisanterie ou le « sinankunya » est perçu comme l’un des fondements de l’unité nationale. Aujourd’hui, pour cause de l’irrespect vis-à-vis de ce facteur important dans la cohésion sociale, cette pratique ancestrale, dont l’origine remonte à plusieurs décennies, est en voie de disparition au Mali.

Communément appelé le « sinankunya » au Mali, le cousinage à plaisanterie ou la parenté à plaisanterie est une pratique culturelle qui vise à maintenir la paix et la cohésion sociale entre différentes ethnies en particulier, mais aussi, et surtout entre l’ensemble de la population malienne en générale. Cette pratique remonte à bien avant la période coloniale. « Nos vieux, bien avant l’arrivée des deux religions (musulmane et chrétienne), ont fabriqué cet outil social pour permettre de régler un certain nombre de problèmes », précise Dr Ibrahima Traoré, sociologue de l’éducation, à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB).

Patrimoine immatériel

Le « sinankunya » fait partie du patrimoine immatériel des populations de l’ancien empire du Mali. Cette richesse culturelle ouest-africaine est un formidable outil de médiation sociale. Les plaisanteries tournent généralement autour du rang social et de la nourriture, mais aussi du niveau d’intelligence, de courage, de dévouement au travail, etc., chacun voulant volontiers s’attribuer les meilleures qualités pour laisser à son interlocuteur les mauvaises. Mais les cousins sont tenus de ne jamais prendre en mal les reproches ou critiques qu’on leur porte. Mieux, dès qu’ils savent qu’ils partagent ce lien social, ils acceptent tout venant de l’autre. C’est ainsi que le cousinage à plaisanterie est un instrument qui facilite le vivre ensemble en étant un formidable catalyseur.

Toutefois, le « sinankunya » garantit la dignité de l’autre en toute circonstance. Sa règle d’or : ne jamais nuire à l’autre.

Bassirou Traoré, professeur d’anglais au Lycée Bocar Cissé de Niafunké, soutient que le cousinage à plaisanterie ou le « sinankunya » favorise le « vivre-ensemble et installe un climat de paix et d’entente dans la société malienne ». Selon ce professeur de l’enseignement secondaire général, ces valeurs ont des forces « incalculables dans la mesure où elles permettent d’éviter des tensions et des conflits entre populations ».

Lorsque deux personnes sont en conflit et par la suite qu’il est avéré que l’une est Traoré et que l’autre est Diarra, ce conflit va vite prendre fin. Cela reste de même entre un dogon et un bozo…

De même, la Charte de Kurukan Fuga, considérée comme la première Constitution de l’empire du Mali par certains, et la première Déclaration des droits de l’homme par d’autres, continue de « régir tous les peuples » ayant appartenu au grand Mandingue. Surtout ce qui est de l’organisation de la société, la gestion des conflits, la division du travail, l’hospitalité, la coexistence pacifique et la tolérance, affirme Kadidia Mallé, chercheure et professeure de sociologie au lycée.

En plus de son caractère de maintien de la paix et de la cohésion sociale, le cousinage à plaisanterie ou « sinankunya » est sacré dans la mesure où il fait appel aux liens de sang entre certaines couches sociales. Cette valeur séculaire interdit également le mariage entre certaines couches. 

Dans certains milieux au Mali, le mariage entre les hommes de caste et les peuls, entre les bozo ou somono et les dogons, est interdit. Cet humour crée, entre ces personnes, l’équilibre, la paix sociale, la tolérance, la solidarité interethnique et la courtoisie. Il permet tout de même de gérer beaucoup de conflits dans la société, surtout lorsqu’il se pratique dans tous les lieux, à tous les moments et sans limites d’âge.

Valeur en voie de disparition

Aujourd’hui, les références historiques sont souvent oubliées et les individus, notamment en ville, peuvent difficilement expliquer l’origine des pactes de « sinankunya ». Si les Doumbia, à un moment donné de l’histoire, ont été des « forgerons », appartenant à la catégorie des hommes de caste par opposition aux « nobles », et donc hiérarchiquement soumis, ces derniers se dédouanent dans les plaisanteries, de ce statut peu enviable en précisant que les Sidibe ne sont pas non plus des « nobles », mais des éleveurs. L’enjeu suscite des joutes oratoires nombreuses, quotidiennes et très appréciées.

Outre, les « sinankun » se manifestent par des relations privilégiées entre les deux lignages puisque le pacte d’alliance indique qu’ils se doivent respect mutuel. Ainsi, dans toutes les situations de conflits auxquelles les uns ou les autres peuvent être confrontés, le « sinankun » a un rôle de médiateur puisqu’il peut intervenir et obliger son cousin à se soumettre à son jugement ou à sa décision.

Par ailleurs, ces valeurs ont tendance à disparaitre de nos jours. Pour cause, nombreux sont ceux qui ne les respectent plus, notamment dans les grandes villes. « Le manque d’éducation fait que ces valeurs très précieuses ont tendance à être ignorées », souligne Alassane Bah, imam à Kalabancoro, quartier au sud-est du district de Bamako. À en croire cet imam d’une soixantaine d’années, ces « valeurs doivent être enseignées » à tous et à toutes dans tous nos différentes familles.

Selon Dr Traoré, les « nouvelles technologies ont pris un pan très important dans l’éducation des enfants ». Pourtant, explique-t-il, le « cousinage à plaisanterie était une catégorie d’éducation pour les enfants, qui ne partent plus à cette école de la vie sociale. Ce qui fait qu’elle ne fait plus cas d’actualité ».

« Ressortir la Charte de Kurukan Fuga dans les tiroirs »

Malgré l’existence de ces valeurs au Mali, susceptibles de ramener la paix et la stabilité, ce pays sahélien reste confronté à un problème d’insécurité depuis plus d’une décennie. Pourtant, « ces valeurs peuvent bel et bien contribuer au retour de la paix et de la stabilité au Mali, si on retourne vers elles », affirme Bassirou Traoré tout en reconnaissant que « si le conflit au Mali n’a pas atteint un certain niveau, c’est parce que les résidus de ces valeurs sont toujours d’actualité ».

Pour Dr Ibrahima Traoré, cette valeur ancestrale peut non seulement contribuer à la stabilité et à la paix au Mali, mais aussi être un « garde de fout contre les conflits à envergures nationales ». Grâce au cousinage à plaisanterie, précise-t-il, il y a des villages dans le pays dogon qui n’ont jamais été attaqués par les peuls.

Selon les précisions de Dr Aïcha Yatabary, médecin de formation et consultante en santé publique axée sur le développement durable, pour que ces pratiques ramènent la paix et la stabilité au Mali, il faudrait « ressortir la Charte de Kurukan Fuga dans les tiroirs ». À l’en croire, cette Charte reste l’une des vieilles déclarations des droits de l’homme qui « cadre bien avec la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies ». Il s’agit pour elle de bien étudier la Charte de Kurukan Fuga, et l’adapter aux déclarations universelles qui existent aujourd’hui.

Bakary Fomba


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