À la veille d’une élection présidentielle, annoncée pour le 25 octobre 2025, et censée sceller la stabilité retrouvée d’un pays longtemps meurtri, la Côte d’Ivoire replonge dans ses vieux démons : méfiance, tension et litanie des promesses démocratiques jamais tenues. La rue, une fois encore, se charge de rappeler que le silence n’est pas synonyme de paix.
Il y a des jours où Abidjan ressemble à un orchestre sans chef. Ce vendredi, la partition était écrite d’avance : slogans rageurs, pancartes improvisées, drapeaux brandis comme des boucliers de papier. Des milliers de manifestants — militants de l’opposition, étudiants désabusés, vendeuses de marché devenues politologues à leurs heures — ont déferlé dans plusieurs villes du pays pour exiger ce que tout le monde promet mais que personne ne garantit vraiment : une élection transparente.
Officiellement, il ne s’agit que d’une mobilisation citoyenne. En réalité, c’est une motion de méfiance à ciel ouvert contre un processus électoral que beaucoup jugent biaisé, verrouillé, calibré pour produire le résultat que l’on connaît d’avance. Les Ivoiriens, eux, n’ont plus besoin d’explications techniques. Ils ont déjà vu le film. Il s’appelait 2010, il s’appelait 2020. Et il finit toujours mal.
Abidjan sous surveillance, la CEI sous pression
Devant les locaux de la Commission électorale indépendante (CEI), les forces de l’ordre, casques luisants et matraques au poing, ont formé une muraille silencieuse. On distribue des gaz lacrymogènes comme des bulletins de vote, au nom du maintien de l’ordre public.
Dans certains quartiers d’Abobo et de Yopougon, des heurts éclatent, vite contenus mais lourds de symboles. La démocratie ivoirienne, décidément, continue d’avancer avec un gilet pare-balles.
À Bouaké, Daloa ou Gagnoa, même scénario : foules compactes, slogans improvisés, colère polie mais palpable. Le mot d’ordre : « Non à la confiscation du vote ». Une phrase qui sonne comme un refrain d’Afrique francophone, de Dakar à Kinshasa, de Libreville à Lomé.
Le paradoxe ivoirien
Car c’est bien là tout le drame : la Côte d’Ivoire, vitrine économique de l’Afrique de l’Ouest, symbole de la réussite post-conflit, redécouvre que la croissance ne soigne pas tout. Le PIB grimpe, mais la confiance descend. Les ponts s’érigent, mais les passerelles entre pouvoir et opposition s’effondrent. On dit que le président sortant veut assurer la continuité. Ses opposants, eux, y voient une obsession du contrôle.
Entre les deux camps, une institution électorale à la crédibilité aussi fragile qu’une urne en carton mouillé. Officiellement indépendante, la CEI reste perçue par beaucoup comme un appendice administratif de la présidence, où l’arithmétique électorale sert souvent plus à rassurer qu’à compter.
La communauté internationale en spectatrice polie
À Bruxelles, à Paris, à Washington, on suit le dossier d’un œil distrait mais inquiet. On exhorte à « la retenue», à « la transparence », à « la maturité politique ». Ces mots, désormais usés à force d’être recyclés, tombent dans le vide ivoirien avec le poids d’une plume. Pendant ce temps, la rue, elle, dit autre chose : que la démocratie ne se décrète pas, elle se mérite.
Et si les diplomates occidentaux s’étonnent du scepticisme populaire, c’est qu’ils ont oublié que dans ce pays, on n’a jamais eu besoin d’un observateur étranger pour savoir quand une élection sent la poudre.
La veille du scrutin, l’heure du doute
À quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote, Abidjan retient son souffle. L’armée patrouille, les ONG observent, les chancelleries espèrent. Le pouvoir, lui, promet une élection « libre et apaisée » — une formule devenue, au fil du temps, l’antichambre du chaos.
Mais au fond, ce tumulte dit une chose simple : la démocratie ivoirienne ne meurt jamais, elle agonise souvent. Et si les urnes s’ouvrent demain, c’est avec la peur qu’elles accouchent encore d’un conflit, d’une contestation ou d’une énième promesse trahie.
Chiencoro Diarra
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.