En Afrique, les symboles ne manquent pas. Mais il en est un, discret et pourtant fondamental, qui a fait son grand retour sur la scène sahélienne à Dakar, début avril : l’eau. Pas l’eau potable, sujet déjà dramatique en soi, mais l’eau irriguée, maîtrisée, domptée, canalisée. Celle qui fait pousser le mil, survivre le bétail et, surtout, reculer la pauvreté.
Dix ans après une première Déclaration sur l’irrigation au Sahel, six pays – Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Mauritanie, Sénégal – se sont retrouvés à Dakar pour clamer haut et fort une ambition longtemps reléguée au second plan : mettre un million d’hectares de terres en irrigation complète d’ici 2035.
On pourrait y voir un voeu pieux de plus. Un « plan de plus », diront les cyniques. Ce serait une erreur.
La souveraineté alimentaire face aux diktats du commerce international
Car, dans un monde où le riz thaïlandais double de prix en six mois, où les cargos ukrainiens peinent à franchir la mer Noire, l’Afrique de l’Ouest n’a plus le luxe d’attendre. Elle ne peut plus confier sa sécurité alimentaire aux fluctuations du marché international, ni à la générosité des bailleurs. Elle doit, comme le dit si bien le Secrétaire Exécutif du CILSS, Dr Abdoulaye Mohamadou, « sortir du paradigme de l’importation alimentaire ». Traduction : cultiver pour manger. Et irriguer pour cultiver.
À Dakar, les ministres ont donc fait plus que discourir. Ils ont signé une nouvelle Déclaration. Ils ont listé les priorités. Ils ont parlé financement. Gouvernance. Résilience climatique. Contribution des agriculteurs. Et, pour une fois, ils ont aussi parlé coopération régionale — et non de frontières hermétiques.
Car c’est bien là que se joue l’enjeu géopolitique de cette transformation agricole. En investissant dans l’irrigation, les États sahéliens ne cherchent pas seulement à nourrir leurs populations. Ils cherchent à stabiliser leurs territoires. À créer de l’emploi. À rendre caduques les promesses des groupes armés. À montrer qu’un État peut exister autrement que par les casernes. À imposer, aussi, une certaine souveraineté alimentaire face aux diktats d’un commerce international inégal.
Le Sahel ne veut plus être le ventre mou du continent
Cela suppose, bien sûr, des ressources. Des dizaines de milliards de francs CFA, que les États seuls ne peuvent mobiliser. D’où l’appel lancé au secteur privé, aux bailleurs, aux investisseurs : venez planter vos tuyaux, vos pompes solaires et vos systèmes goutte-à-goutte, mais venez avec une vision. Celle d’une Afrique qui se nourrit elle-même.
Dans cette Afrique-là, le Sahel ne veut plus être le ventre mou du continent. Il entend devenir le grenier. Une ambition audacieuse, mais pas illusoire. Les technologies existent. Les terres aussi. Les bras ne manquent pas. Seule la volonté politique devait suivre. Elle semble enfin s’éveiller.
Alors oui, les 285 000 hectares irrigués depuis 2013 sont bien en-deçà de l’objectif. Mais l’eau, comme la politique, a besoin de temps pour creuser son lit.
Chiencoro Diarra
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