Alors que le Ramadan incarne spiritualité et partage, il met aussi en lumière les inégalités de genre, où les femmes, premières gestionnaires des foyers, portent une charge invisible, mais essentielle, révélatrice des défis économiques et sociaux du continent.
Depuis toujours, dans toutes les sociétés, les périodes de privation et de spiritualité ont reposé sur les épaules des femmes. Dans l’Empire ottoman, en Chine impériale, ou encore en Europe médiévale, ce sont elles qui, dans l’ombre, organisaient le quotidien des jeûneurs, veillant à ce que les traditions soient respectées, que les repas soient préparés et que l’ordre social soit maintenu. Aujourd’hui, au Mali et dans l’ensemble de l’espace sahélien, cette réalité n’a guère changé. Le Ramadan renforce des inégalités profondément ancrées. Il rend plus visible encore la charge disproportionnée supportée par les femmes.
Un poids économique et social alourdi par la crise
Comme à l’accoutumée, le Mali traverse une crise économique sévère, amplifiée par une inflation galopante et une pénurie de denrées essentielles. Riz, sucre, huile : des biens autrefois accessibles sont devenus hors de prix. Pourtant, durant le Ramadan, les attentes alimentaires des familles ne diminuent pas, bien au contraire.
Or, qui gère cette tension entre rareté et besoin ? Les femmes, bien sûr. Elles sont chargées de nourrir, d’organiser, d’anticiper, alors qu’elles sont les moins bien dotées en ressources. En milieu rural, elles possèdent rarement la terre qu’elles cultivent, n’ont que difficilement accès au crédit et restent les grandes oubliées des politiques économiques. Pourtant, elles sont celles qui, par leur ingéniosité et leur résilience, évitent aux ménages l’effondrement.
Une charge mentale et physique écrasante
Au-delà de la précarité matérielle, le Ramadan impose une charge mentale et physique supplémentaire. Il ne s’agit pas seulement de jeûner, mais de s’occuper des enfants, de veiller à la propreté du foyer, d’organiser les repas de rupture, du suhur, et, souvent, de travailler en parallèle. Là encore, qui assume l’essentiel de cette charge ? Les femmes.
Et comme si cela ne suffisait pas, l’insécurité croissante et les normes patriarcales restreignent leur mobilité. Aller au marché devient une expédition, chercher du bois ou de l’eau une épreuve. Dans certaines régions, la peur des attaques et des violences limite encore davantage leur autonomie.
Pourtant, loin d’être des victimes passives, elles s’adaptent. Dans les marchés de Bamako comme dans les villages les plus reculés, elles tissent des réseaux de solidarité, échangent des denrées, inventent des solutions là où l’État est absent. Elles pallient les manquements d’un système économique qui les ignore, et d’une société qui oublie leur rôle central.
Le Ramadan est un temps de réflexion et d’introspection, une invitation à réévaluer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Or, si la justice est une valeur centrale de cette période, comment justifier que les femmes continuent de porter seules ce fardeau ?
Si cette inégalité perdure, elle freinera durablement le développement du continent. Aucune société ne peut prétendre à l’émergence en laissant la moitié de sa population cantonnée à un rôle invisible, sous-payé et non reconnu.
Trois révolutions nécessaires
Pour sortir de cette impasse, trois transformations s’imposent :
1️ —Une révolution économique : Il est urgent de faciliter l’accès des femmes aux ressources, à commencer par le foncier, le crédit et l’éducation financière. Aucun pays ne peut prospérer si ses principales actrices économiques restent enfermées dans l’informel.
2️ — Une révolution technologique : L’innovation doit alléger leur charge. Accès à l’eau potable, électricité, moulins, solutions de cuisson modernes : réduire le temps consacré aux tâches domestiques est une nécessité.
3️ — Une révolution culturelle et politique : Il faut remettre en question les normes qui limitent leur autonomie et placer la question de l’égalité au cœur des politiques publiques. Les sociétés qui ont su le faire ont toujours prospéré plus vite que les autres.
Ce qui se joue au Mali n’est pas un cas isolé. En Inde, au Maghreb, en Amérique latine, les femmes portent cette charge invisible, trop souvent ignorée par les décideurs. Pourtant, l’histoire montre que lorsqu’elles accèdent aux moyens de leur autonomie, c’est l’ensemble de la société qui progresse.
Le Ramadan est un moment de justice et de partage, mais il doit aussi être un temps de prise de conscience. Les traditions, aussi sacrées soient-elles, ne doivent pas être un prétexte pour perpétuer des injustices.
Si l’Afrique veut assurer son avenir et sa prospérité, elle doit libérer celles qui, dans l’ombre, la portent déjà à bout de bras.
Chiencoro Diarra
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