Faux billets, douanes débordées, valises de devises illicites : un front méconnu s’ouvre dans la bataille pour la souveraineté économique du Sahel. Entre Dakar et Bamako, les saisies se multiplient, révélant une stratégie insidieuse de déstabilisation financière. Une nouvelle forme de terrorisme économique, que les autorités malienne et sénégalaise combattent désormais comme un acte de guerre silencieuse.
C’est un fléau discret, un poison diffus, un virus monétaire qui infiltre les circuits de l’économie comme une lame dans la chair. À Dakar, Bamako, Ziguinchor ou Thiès, les saisies de fausse monnaie se suivent et se ressemblent. Mais ce qui, hier encore, pouvait être classé dans les méfaits du banditisme ordinaire s’apparente désormais à autre chose : une stratégie d’asphyxie économique. En toile de fond, un terrorisme financier rampant qui, sans bombes ni kalachnikovs, vise les artères vitales des États sahéliens.
Tentative de miner la valeur réelle des échanges
Dans la nuit du 18 au 19 mai 2025, dans la banlieue de Keur Massar, ce sont des billets « noirs » — ces faux dollars imbibés de mercure et censés être « lavés » pour paraître vrais — que les douaniers sénégalais retrouvent, abandonnés sur le sol d’un appartement transformé en atelier de faux-monnayeurs. Dans les sachets plastiques, 12 724 coupures de 100 dollars, 2 800 coupures de 50 euros, pour un total qui frôle 1,6 milliard de francs CFA. Une opération parmi d’autres. Le 1er mai, la police et les douanes sénégalaises interceptaient pour près de 8 milliards en fausse monnaie, entre Dakar et Thiès.
À Bamako, les saisies ne sont pas moins spectaculaires, bien que souvent passées sous silence par des autorités qui préfèrent l’efficacité discrète à la médiatisation tapageuse. Le 26 mai 2025, à l’aéroport international Modibo Keïta de Sénou, 580 150 euros sont découverts dans les bagages d’un passager à destination de l’Afrique centrale. Quelques mois plus tôt, un ressortissant malien tentait de faire passer 1,27 million d’euros dissimulés sous plastique thermoscellé. Si les billets n’étaient pas faux, le procédé, lui, s’inscrivait dans une dynamique parallèle : celle des flux monétaires opaques, potentiellement couplés à des réseaux criminels transnationaux.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la régulation des devises ou la lutte contre la contrefaçon. C’est la souveraineté monétaire, la confiance dans la monnaie, la stabilité économique même des États. Introduire massivement des faux billets dans une économie, c’est miner la valeur réelle des échanges, c’est fausser les circuits commerciaux, c’est accroître artificiellement la masse monétaire et créer de l’inflation. C’est — à bas bruit — créer le chaos.
Une guerre douce et silencieuse, mais une guerre tout de même.
Au Mali comme au Sénégal, les services de renseignement ne s’y trompent plus. Le phénomène est aujourd’hui considéré comme une forme de sabotage économique, un levier indirect de déstabilisation. Pour les autorités sahéliennes, confrontées déjà à un terrorisme armé, cette guerre de l’ombre exige des réponses à la hauteur : coopération régionale renforcée, dispositifs de détection avancée dans les aéroports, sanctions pénales exemplaires.
Dans le viseur, une nébuleuse criminelle, mêlant faux-monnayeurs, trafiquants d’influence, réseaux de blanchiment, parfois liés aux économies parallèles que les groupes armés exploitent dans les zones grises. L’enjeu dépasse la simple sécurité douanière. Il est politique, géopolitique même : affaiblir les États en ruinant leur capacité à protéger leur monnaie, c’est les priver de leur instrument de souveraineté le plus fondamental.
Les États sahéliens ne sont plus des proies faciles
Le général Assimi Goïta, président de la Transition malienne et fervent défenseur d’une Afrique souveraine, l’a d’ailleurs martelé à plusieurs reprises, notamment lors de sa visite à Sikasso en 2024 : la lutte contre les trafics économiques fait partie intégrante de la guerre globale contre l’insécurité. Et à l’heure où le Mali, avec ses partenaires de l’AES, cherche à reconstruire un modèle économique fondé sur l’intérêt des peuples plutôt que sur les logiques de dépendance, le combat contre la fausse monnaie prend des allures de bras de fer stratégique.
Derrière chaque billet noir, il y a un dessein : celui de fragiliser, d’étouffer, de discréditer les efforts de redressement. Mais derrière chaque saisie, il y a un signal : les États sahéliens ne sont plus des proies faciles. Ils se défendent, avec méthode, avec détermination, avec l’appui d’une diplomatie décomplexée et d’une souveraineté retrouvée.
Chiencoro Diarra
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