Home Arts et Culture Billet.Mory Soumano : et si on éteignait la télé ce mardi ?

Billet.Mory Soumano : et si on éteignait la télé ce mardi ?

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Mory Soumano s’en est allé, emportant avec lui une voix, une mémoire, un pan entier de l’âme malienne. Animateur emblématique de Terroir, il a consacré sa vie à tisser le lien entre les générations, à rappeler aux Maliens d’où ils viennent et ce qui les unit. À l’heure où le pays revendique sa souveraineté, sa disparition sonne comme un rappel.  L’indépendance n’est pas qu’une affaire de politique, elle est aussi culturelle. Et sans mémoire, il n’y a pas d’avenir.

C’était un rituel immuable. Chaque mardi soir, le téléviseur du salon changeait de propriétaire. Mon père, accro au journal télévisé, abdiquait sans discuter face à ma mère, qui, avec un sourire complice, lançait : « C’est aujourd’hui Mory Soumano. » La sentence était irrévocable. À l’époque, je trépignais, attendant impatiemment que l’écran m’appartienne pour une dose de films d’action. Mais non, c’était Terroir, cette émission qui, pour moi, n’était qu’un écran de chants et de danses, loin de mon univers d’enfant.

Terroir, plus qu’un programme

Je n’avais pas encore saisi la portée de ce rendez-vous hebdomadaire. Pas encore compris que Mory Soumano, en nous emmenant dans les tréfonds de la culture malienne, tissait un lien invisible entre les citadins et leurs racines. Ce n’est qu’au lycée, en découvrant la négritude de Césaire, Damas et Senghor, que j’ai commencé à écouter, à voir autrement. Et ce qui, autrefois, n’était qu’une simple émission est devenu un trésor.

Mory Soumano, ce griot des ondes, s’en est allé, le jeudi 13 mars 2025, à l’âge de 73 ans. L’homme à la voix chaleureuse, le passeur de mémoire, l’enseignant devenu animateur, celui qui a consacré près de quarante ans de sa vie à faire résonner l’âme du Mali sur les ondes de l’ORTM.

Originaire de Kokofata, dans le cercle de Kita, il était de cette lignée qui fait de la parole un art, un patrimoine vivant. Après avoir quitté l’enseignement, il s’est installé à Radio Mali, devenue ORTM, où il a écrit l’histoire d’une émission culte. Mais Terroir était plus qu’un programme. C’était un voyage, une immersion dans les traditions, une déclaration d’amour à ce Mali pluriel.

L’indépendance ne se mesure pas qu’en batailles politiques ou économiques

Et aujourd’hui, alors que le pays affirme haut et fort sa souveraineté, alors qu’il revendique son identité face aux vents contraires de la mondialisation et des ingérences extérieures, quelle meilleure boussole que celle de Mory Soumano pour ne pas perdre le Nord ?

Dans un Mali qui se reconstruit, qui cherche à se réapproprier son histoire et sa culture pour bâtir un futur solide, la disparition de ce passeur de mémoire est une perte immense. Car Terroir n’était pas qu’un divertissement. C’était un rappel hebdomadaire de ce que nous sommes, un antidote à l’oubli, une école du soir où défilaient les griots, les chasseurs, les artisans, les détenteurs d’un savoir ancestral que la modernité menace d’effacer.

Comment parler de souveraineté si l’on ignore d’où l’on vient ? La véritable indépendance ne se mesure pas qu’en batailles politiques ou économiques. Elle se mesure aussi à notre capacité à préserver notre essence, à raconter notre propre histoire, à valoriser nos coutumes plutôt que de singer celles des autres. Mory Soumano l’avait compris avant tout le monde.

Une nation qui oublie ses racines ne fait que marcher à reculons

En 2014, il avait pris sa retraite, médaillé du Mérite national. Mais l’appel des projecteurs était trop fort. Il était revenu, avec AW, une émission mensuelle qui prolongeait son engagement pour la culture. Puis, le silence. Définitif, cette fois.

Ses obsèques ont eu lieu le 14 mars, en plein ramadan, à Garantiguibougou, dans une atmosphère de recueillement et de reconnaissance. Une page se tourne, mais l’écho de sa voix, lui, résonnera encore longtemps dans la mémoire de ceux qui, comme moi, ont appris à l’écouter.

Dans ce Mali qui cherche à se tenir debout, à regarder le monde dans les yeux sans baisser la tête, l’héritage de Mory Soumano doit être une boussole. Car une nation qui oublie ses racines ne fait que marcher à reculons.

F. Togola


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