Alors que les sacrifices humains, les violences rituelles et la banalisation de la cruauté gagnent du terrain dans certaines sociétés africaines, au croisement du pouvoir, de la croyance et du capitalisme débridé, une question glaçante s’impose : l’homme moderne a-t-il définitivement renoncé à son humanité ? Entre déshumanisation, irrationalisme et marchandisation du corps, ce billet d’humeur interroge un monde où l’enfant devient monnaie d’ascension et où le progrès technologique côtoie la régression morale.
Le capitalisme a-t-il définitivement perdu la tête ou l’humain a-t-il cessé d’en avoir une ? À force d’objectiver le vivant, de comptabiliser les existences et de rentabiliser les peines, l’homme moderne semble avoir franchi une ligne rouge : celle de sa propre déchéance morale. Ce n’est plus un soupçon, c’est un constat. L’humain est devenu objet de commerce, morceau de viande sur étal politique ou rituel, chiffre sans chair dans une logique de pouvoir.
Pourquoi le marabout ne se sacre-t-il pas lui-même ?
Il fut un temps où l’on sacrifiait des bêtes pour apaiser les dieux. Aujourd’hui, ce sont des fillettes, des albinos, des adolescents ou des bébés, que l’on saigne au nom d’ambitions d’adultes. Ramata Diarra, petite albinos arrachée à sa mère en pleine nuit, retrouvée décapitée, est le nom que ce siècle ne devrait pas oublier. Pas parce qu’il est rare, mais parce qu’il est devenu banal.
Oui, le monde inquiète. Plus aucun jour ne passe sans qu’un fait divers ne vienne nous rappeler que la barbarie a changé de costume. Elle ne porte plus de peau de bête, elle s’habille en complet-cravate. On tue, on viole, on mutile pour séduire un électorat ou obtenir les faveurs d’un marabout — cette figure jadis spirituelle devenue prescripteur de sacrifices politiques. Le pouvoir, ce poison lent, aveugle, dévore, transforme. À ce stade, une question s’impose : si sacrifier un être humain rend président, pourquoi le marabout ne se sacre-t-il pas lui-même ?
L’homme se fabrique désormais des substituts
L’homme ne se demande plus s’il a raison, il agit. Pire, il suit les injonctions d’un irrationalisme devenu doctrine. Dieu ? Une parenthèse. La pitié ? Un mot à archiver. L’homo sapiens a cédé sa place à l’homo prédateur, un être qui sait manier le numérique mais a oublié comment vivre en société. Rousseau, en regardant ce cirque, aurait volontiers signé pour un retour à l’état de nature, cette époque où la pitié liait encore les hommes entre eux.
Et comme si le théâtre du sang ne suffisait pas, l’homme se fabrique désormais des substituts de lui-même. L’intelligence artificielle n’est plus un simple outil, elle devient une extension de sa solitude. Les robots sexuels remplacent les partenaires, les foies artificiels les entrailles humaines. Demain, peut-être, confiera-t-on à une machine le soin de pleurer les enfants sacrifiés ?
On ne se demande plus « où va le monde »
Il est des colères qui naissent du silence. D’autres, comme celle-ci, du trop-plein. Trop de meurtres, trop de sang, trop d’absurde. Le monde semble courir vers un effondrement moral en accéléré, où les progrès technologiques n’ont d’égale que la régression éthique. À ce rythme, on ne se demande plus « où va le monde », mais : qui survivra à ce qu’il devient ?
Ce billet n’est ni une plainte, ni une prédiction. C’est une alerte, un cri d’encre pour rappeler que la civilisation ne se mesure pas aux gratte-ciel ou aux satellites, mais à la manière dont elle protège ses enfants, ses femmes, ses faibles.
Tant que l’on vendra des vies pour des intérêts personnels, il sera indécent de parler d’avenir.
Chiencoro Diarra
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