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Billet. À l’ombre des rayonnages, la patrie intérieure

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Alors que les vacances scolaires s’installent dans la torpeur estivale du Mali, les bibliothèques et centres culturels offrent une parenthèse inattendue : celle d’un refuge silencieux contre l’oubli, la vacuité et l’abandon. Entre mémoire personnelle et plaidoyer pour une souveraineté intellectuelle, ce billet d’humeur explore ces lieux de l’ombre où se joue, peut-être, la renaissance malienne par les livres.

Il y a dans certaines bibliothèques de brousse plus d’avenir que dans bien des ministères. C’est une conviction que l’on se forge très tôt, quand, au lieu de courir après le ballon ou de brûler l’ennui sur les routes rouges du Sahel, on préfère se lover dans les silences feutrés d’un rayon poussiéreux, entre un recueil de contes bambara et une anthologie de Senghor en couverture cartonnée.

C’est la saison sèche des tableaux noirs. Les écoles ferment, les enseignants soufflent, les élèves s’éparpillent — entre grin de thé et petits boulots, cousinades rurales et errances urbaines. Loin du tumulte des classes, commence alors un temps suspendu, celui des vacances scolaires, qu’on pourrait tout aussi bien appeler « saison des oublis pédagogiques ». À moins, bien sûr, qu’un miracle ait lieu : celui de la fréquentation des bibliothèques, ces temples profanes de l’intelligence lente.

L’alternative au vagabondage mental

Au Mali, comme ailleurs sur le continent, le livre a mauvaise presse, et la lecture un avenir aussi fragile que celui d’un ministre de la Culture dans un gouvernement de transition. Pourtant, ces lieux existent — discrets, mal ventilés parfois, mais ouverts, patients, disponibles. On y trouve l’Afrique d’hier, les rêves d’aujourd’hui, et, entre les lignes, quelques leçons pour demain.

Sous d’autres cieux, on envoie ses enfants en colonie de vacances ou en stage de robotique. Ici, certains retournent au village, d’autres vendent des cartes de recharge sous un soleil de plomb ou sous une pluie torrentielle, d’autres encore — les plus silencieux, les moins visibles — deviennent, l’été durant, des résistants culturels, ces enfants qui lisent sans bruit, loin des écrans et des dogmes.

Une révolution douce par la lecture

Moi, c’est dans la bibliothèque de mon école fondamentale, perdue au fond d’un village que les cartes ignorent, que j’ai appris la valeur des mots. Chaque emprunt était un passeport imaginaire, chaque lecture, une révolte contre l’amnésie ambiante. Je me souviens du bibliothécaire — un directeur d’école à la moustache gaullienne — qui, après chaque roman restitué sans rature, me tendait un bonbon ou un sourire complice. J’ai découvert L’Étrange destin de WangrinLe Karateka ou encore Oui, Mon Commandant !, avant même de connaître la Constitution du Mali.

Et comme souvent chez nous, c’est l’enfant qui éduque la fratrie : mes frères, d’abord sceptiques, finirent par me charger de leur apporter, à chacun, un roman différent, à chaque fois que je me rendais à la bibliothèque. À défaut de pouvoir changer le monde, on commençait à changer de monde.

Lire, un acte de résistance civique

Dans un pays où l’on scolarise encore avec des craies cassées, où l’on révise à la lueur d’une lampe-tempête, faire lire un enfant pendant les vacances, c’est un acte politique. C’est affûter une conscience, cultiver une mémoire, forger un citoyen. On dit parfois que l’écriture est une arme. Mais la lecture, elle, est un champ de bataille intérieur. Et les bibliothèques sont nos arsenaux de paix.

On objectera, non sans raison, que tous les enfants ne sont pas les mêmes, et que la pédagogie, comme le tailleur, se pratique sur mesure. Soit. Mais que le minimum soit garanti : un espace, quelques ouvrages, et l’ivresse d’apprendre par soi-même. On peut être fils de paysan et devenir lecteur. On peut être orphelin de télévision et trouver dans le silence d’une page la voix du monde.

La reconquête commence ici

Le Mali Kura — ce nouveau Mali qu’on rêve plus juste, plus digne, plus souverain — ne se construira pas seulement à coups de discours ou de décisions politiques. Il se bâtira aussi à l’ombre des bibliothèques rurales, dans la voix d’un griot consigné sur papier, dans le regard d’un enfant qui découvre Aimé Césaire sans le savoir.

À la veille des vacances, alors que les plages pédagogiques se referment, il n’est pas inutile de rappeler cette vérité simple : un peuple qui lit est un peuple qui réfléchit, et un peuple qui réfléchit est déjà en marche vers sa libération.

Fousseni Togola 


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