Mali, Burkina Faso et Niger ont engagé, depuis début 2025, la mise en œuvre opérationnelle de leur force conjointe de 5 000 hommes. Première démonstration avec l’opération « Yere-Ko », menée dans la zone des trois frontières. Un tournant sécuritaire encore fragile, dans une région confrontée à une insécurité persistante et à de lourdes contraintes capacitaires.
Vingt-sept mois après la signature de la Charte du Liptako-Gourma, le 16 septembre 2023, qui a acté la naissance de l’Alliance des États du Sahel (AES), le Mali, le Burkina Faso et le Niger entendent donner un contenu concret à leur ambition sécuritaire commune. Le 21 janvier 2025, les autorités nigériennes annonçaient officiellement la création d’une force militaire unifiée de 5 000 hommes, marquant le passage d’une alliance politique à une architecture opérationnelle.
Cette initiative rompt avec plusieurs décennies de tentatives avortées de coopération régionale en matière de sécurité. Ni la CEDEAO, ni le G5 Sahel n’étaient parvenus à déployer durablement une force intégrée capable de répondre à l’expansion des groupes armés terroristes dans le Sahel central. L’AES, née dans le contexte des ruptures avec les partenaires occidentaux et du retrait progressif des dispositifs français, revendique une prise en charge souveraine de la sécurité régionale.
Une architecture militaire en construction
La Force unifiée de l’AES repose sur un état-major central installé à Niamey, au sein de la base aérienne 101, anciennement utilisée par l’opération française Barkhane. Ce choix symbolique traduit la volonté des trois régimes militaires de reprendre le contrôle d’infrastructures stratégiques, tout en affirmant une rupture avec les dispositifs sécuritaires hérités.
Les étapes de mise en place se sont accélérées en 2025. Des réunions successives des chefs d’état-major et des ministres de la défense, à Ouagadougou, Bamako puis Niamey, ont permis de préciser la chaîne de commandement, les mécanismes de coordination et le calendrier de déploiement. L’objectif affiché est une pleine capacité opérationnelle à partir de 2026, même si, à ce stade, la force reste largement adossée aux armées nationales existantes.
« Yere-Ko », premier test grandeur nature
Entre le 24 février et le 6 mars 2025, l’opération conjointe « Yere-Ko 2 » a constitué la première démonstration militaire d’envergure de cette coopération. Menée dans la zone dite des « trois frontières », à cheval sur le Mali, le Burkina Faso et le Niger, elle visait les bastions du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de l’État islamique au Sahel.
Coordonnée depuis le poste de commandement interarmées de Gao, au Mali, l’opération a mobilisé des unités terrestres, appuyées par des moyens aériens et du renseignement partagé. Selon les bilans communiqués par les états-majors, plusieurs bases jihadistes ont été démantelées, des combattants neutralisés ou capturés, et d’importants stocks logistiques saisis, notamment des armes, du carburant et des moyens de communication.
Au-delà des résultats tactiques, « Yere-Ko » a surtout validé une capacité inédite de coordination interarmées, avec une chaîne de commandement partagée et des opérations conduites simultanément sur plusieurs territoires nationaux. Un pas important dans une région où la porosité des frontières a longtemps entravé les efforts militaires.
La question centrale des moyens aériens
L’un des défis majeurs reste toutefois la faiblesse des capacités aériennes des armées sahéliennes. Face à des groupes armés très mobiles, la surveillance, le renseignement et l’appui aérien sont déterminants. L’AES mise sur une mutualisation progressive des moyens existants — hélicoptères, drones, capacités de renseignement — plutôt que sur la création immédiate d’une flotte commune.
La Turquie fournit des drones à plusieurs pays de l’Alliance, tandis que la Russie a annoncé, au printemps 2025, un appui en matière de formation et d’équipements. Cette stratégie de partenariats multiples vise à éviter une dépendance exclusive, après le retrait des partenaires occidentaux. Mais elle pose aussi la question de l’interopérabilité des systèmes et de la soutenabilité financière de ces choix dans la durée.
Une expérience encore ouverte
Malgré cette montée en puissance, la force unifiée de l’AES demeure confrontée à de lourds obstacles. Les groupes terroristes continuent d’adapter leurs modes opératoires, tandis que les contraintes budgétaires, logistiques et humaines limitent l’ampleur des opérations. Par ailleurs, l’absence d’un cadre institutionnel supranational pleinement opérationnel restreint la capacité à planifier sur le long terme.
L’opération « Yere-Ko » a montré que le Mali, le Burkina Faso et le Niger pouvaient, pour la première fois, conduire ensemble des opérations militaires coordonnées d’envergure. Mais transformer cette dynamique en un dispositif durable, capable de stabiliser le Sahel central, nécessitera bien davantage qu’une convergence sécuritaire.
La réussite de la force unifiée dépendra autant de sa capacité militaire que de l’évolution politique des régimes qui la portent, et de leur aptitude à inscrire cette coopération dans un projet régional plus large. Le 2ème collège des chefs d’État de la Confédération des Etats du sahel, prévu à Bamako du 22 au 23 décembre 2025, devrait offrir un premier bilan politique de cette expérimentation sécuritaire inédite au Sahel.
A.D
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