Entre Niamey, Moscou et Pékin, la Confédération des États du Sahel explore une convergence stratégique avec le bloc BRICS, portée par la Russie et l’idée d’un nouvel ordre mondial.
Et si l’avenir du Sahel se jouait désormais dans les capitales du Sud global ? Depuis plusieurs mois, la Confédération des États du Sahel (AES) – qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger – multiplie les signaux en direction du bloc BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, rejoints depuis 2024 par l’Iran, l’Égypte ou encore l’Éthiopie).
Entre rejet de la tutelle occidentale et quête d’autonomie stratégique, les deux projets se rejoignent dans une ambition commune : bâtir un ordre mondial multipolaire fondé sur la coopération Sud-Sud.
« Les BRICS offrent une alternative constructive »
Le ton a été donné en avril 2025, lorsque le chef de la diplomatie burkinabè, Karamoko Jean Marie Traoré, déclarait à l’agence russe RIA Novosti que « l’AES défend la multipolarité » et qu’un partenariat avec les BRICS représenterait « un levier supplémentaire pour les nations longtemps marginalisées ». Avant, au 2ème sommet Russie-Afrique, à Saint-Pétersburg, en Russie, en 2023, le Président malien, le général Assimi Goïta, a exprimé son soutien à l’initiative des BRICS, dont le rôle doit s’amplifier au profit du continent africain. Selon ses explications, « […] Les BRICS constituent un réel espoir de soustraire nos pays d’un ordre international fondé sur la domination et la marginalisation. C’est pourquoi le Mali soutient des initiatives telles que créer une banque de développement pour le financement des infrastructures ou encore, offrir de nouveaux mécanismes et moyens de paiement internationaux ».
Derrière cette formule diplomatique se dessine une stratégie politique claire : s’émanciper des institutions financières occidentales et rééquilibrer le jeu géopolitique en s’appuyant sur de nouveaux partenaires. Car « Les pays des BRICS se hissent au premier rang de l’économie mondiale et constituent des réponses fiables pour le continent, sans contrepartie hypothéquant le développement de notre continent et l’épanouissement de nos populations. », a affirmé le président de la Confédération des Etats du sahel (AES), le 28 juillet 2023. A la 80ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2025, le Premier ministre malien, le général Abdoulaye Maïga, à déclaré que « les BRICS offrent une alternative constructive et plus respectueuse des intérêts des pays émergents et en développement, tout comme les initiatives africaines de financement du développement. »
Les BRICS, laboratoire du Sud global
Fondé en 2001, le bloc BRICS s’est métamorphosé au cours de la dernière décennie. Avec l’élargissement décidé à Johannesburg en 2023 puis à Kazan en 2024, il rassemble désormais onze membres permanents et treize partenaires observateurs – dont le Nigeria, l’Algérie et l’Ouganda. Ces pays représentent plus de la moitié de la population mondiale et près de 41 % du PIB global (PPA).
C’est dans cette arène que les dirigeants sahéliens entendent désormais faire entendre leur voix. L’Afrique y occupe une place grandissante : l’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Éthiopie siègent déjà au cœur du dispositif, offrant à l’AES une porte d’entrée diplomatique naturelle.
Le 25 juin 2025, le général d’armée Assimi Goïta, président de la Transition malienne, foulait le tarmac de Kazan, capitale du Tatarstan, république industrielle et technologique de la Fédération de Russie. Cette étape, seconde après Moscou, s’inscrivait dans une tournée stratégique visant à consolider le partenariat Mali–Russie et à ouvrir une coopération directe avec les régions les plus dynamiques du pays.
L’objectif affiché : diversifier les axes de coopération dans un contexte de rupture assumée avec les anciens partenaires occidentaux. Les discussions, menées avec le président du Tatarstan Rustam Minnikhanov, ont porté sur l’industrie, la formation technique, les énergies, l’agriculture et l’exploitation minière — secteurs clés pour un Mali engagé dans une politique d’autosuffisance et de souveraineté économique.
Pourquoi Bamako, Ouagadougou et Niamey regardent vers Kazan et Pékin
Trois motivations dominent ce mouvement :
- La convergence idéologique.
L’AES et les BRICS partagent une critique frontale du système occidental : refus du « diktat du dollar », contestation du FMI et de la Banque mondiale, et revendication d’une souveraineté économique intégrale. - L’accès au financement.
La Confédération a lancé en décembre 2025 la Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID-AES), dotée de 500 milliards de F CFA. Mais elle reste dépendante des circuits régionaux et du franc CFA.
L’ouverture à la Nouvelle Banque de développement (NDB) des BRICS offrirait un accès à des crédits sans condition politique, un argument majeur pour les trois États en quête de ressources. - La dédollarisation et la souveraineté monétaire.
Alors que l’AES réfléchit à créer sa propre monnaie, le système BRICS Bridge, qui permet des paiements en monnaies locales, représente un modèle à suivre pour contourner la dépendance au dollar et au franc CFA.
Moscou, le trait d’union
Le pivot russe est la clé du rapprochement. Depuis 2023, Moscou a méthodiquement consolidé ses positions dans le Sahel : appui militaire, coopération énergétique, formation et renseignement. En 2025, la Russie a organisé à Bamako le premier Dialogue Russie–AES, prélude à une intégration diplomatique plus large.
Rosatom a signé avec le Mali et le Burkina Faso des accords sur le nucléaire civil et les énergies renouvelables. Les FAMa, FAN et FAB reçoivent de l’équipement et de l’entraînement russes. En échange, l’AES offre à la Russie une tête de pont stratégique dans une région désormais débarrassée des bases occidentales. Cette synergie place naturellement la Confédération sur la trajectoire des BRICS, où la Russie agit en facilitateur.
Si les trois capitales sahéliennes partagent une vision, elles se heurtent à des obstacles institutionnels. L’AES n’a pas, à ce jour, le statut de pays partenaire des BRICS. La complexité africaine du bloc (six membres et partenaires africains déjà présents) et la réticence du Nigeria, poids lourd de la CEDEAO désormais partenaire BRICS, freinent l’intégration d’un bloc sahélien perçu comme concurrent.
Mais plusieurs voies restent ouvertes :
- une coopération informelle via la Russie,
- une adhésion individuelle du Mali, du Burkina Faso ou du Niger,
- ou un statut d’observateur collectif, comme celui proposé au sommet de Kazan.
Des convergences déjà tangibles
Dans les faits, les chantiers communs s’accumulent :
- Finances : la BCID-AES pourrait s’adosser à la NDB pour des financements conjoints.
- Infrastructures : Pékin voit dans le Sahel un corridor stratégique pour ses routes commerciales.
- Énergie : la coopération nucléaire et solaire avec Rosatom et Sinohydro progresse.
- Sécurité : la Force unifiée AES (5 000 soldats) s’inspire des doctrines de coordination promues par les BRICS dans leurs propres exercices multinationaux.
À Bamako, où se prépare le sommet confédéral de décembre 2025, le rapprochement avec les BRICS pourraient occuper une place centrale dans les discussions.
A.D
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