Sandrine Maljean-Dubois, Aix-Marseille Université (AMU)
Le 12 décembre 2015, la COP21 s’achevait sur un retentissant succès diplomatique : l’adoption par consensus d’un traité universel relativement ambitieux sur le climat, l’accord de Paris.
Entré en vigueur très rapidement, l’accord est aujourd’hui applicable à 187 États et à l’Union européenne. Après l’avoir officiellement quitté le 4 novembre dernier, les États-Unis de Joe Biden devraient y revenir dès février prochain.
Mais le succès diplomatique peut-il devenir un succès environnemental ? Dans ce dossier, les signaux sont pour le moins contradictoires.
Un crash test pour le processus multilatéral
L’accord pose un objectif très ambitieux, celui de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous de 2 °C » en « poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C » (article 2). Or, toutes agrégées, les « contributions » des États ne nous mettent pas collectivement sur la trajectoire définie par l’accord, mais nous amènent plutôt à plus de 3 °C d’ici la fin du siècle, selon les dernières estimations du Programme des Nations unies pour l’environnement.
La COP26, qui devait se tenir à Glasgow en novembre et théâtraliser le relèvement de l’ambition, a été reportée à la fin 2021 pour cause de Covid-19. Cela laisse le temps aux 130 pays qui ont annoncé vouloir relever le niveau d’ambition de leurs contributions d’y procéder.
L’Union européenne devrait se mettre d’accord dans les semaines qui viennent pour porter son engagement de réduction de ses émissions en 2030, actuellement de 40 %, à 55 % (proposition de la Commission européenne) ou 60 % (position du Parlement européen). Quant aux États-Unis, leur retour est annoncé, avec une nouvelle contribution, dès le mois de février.
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Mais pour l’instant, seules 15 « parties » (comprendre les différents signataires de l’accord) ont communiqué une contribution mise à jour. Même chose s’agissant des stratégies de long terme, également attendues d’ici la fin de l’année : seules 19 parties les ont communiquées.
Les engagements de neutralité carbone à l’horizon 2050 (Union européenne, Japon, Corée du Sud, sans compter la promesse des États-Unis de Joe Biden…) ou 2060 (Chine) se multiplient cependant. Ces signaux forts de la part des plus grands émetteurs sont très encourageants car ils pourraient catalyser l’action des autres États.
Reste que les trajectoires pour atteindre la neutralité programmée, et les législations afférentes sont encore incertaines. Il s’avère plus facile de s’engager à l’horizon 2050 qu’à 2030 ! À l’aune d’un mandat électoral, 2030 c’est demain… Et les plans de relance post-Covid semblent pour l’instant une occasion ratée de concrétiser le relèvement de l’ambition.
C’est ici que le mouvement mondial des procès climatiques pourrait jouer un rôle, les juges venant mettre les États face à leurs contradictions. C’est le sens du jugement récent du Conseil d’État français dans l’affaire de Grande-Synthe. C’est aussi au cœur d’une affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme saisie par six jeunes Portugais de 8 à 21 ans, reprochant leur manque d’ambition climatique à 33 États, dont la France. La Cour vient de décider de la traiter en priorité et a demandé aux États concernés de se justifier.
Application de l’accord, le diable dans les détails
La COP21 n’avait, sur un grand nombre de points, fait que poser les grands principes. L’accord de Paris devait être opérationnalisé par un ensemble de décisions de la COP destinées à harmoniser le contenu et le calendrier des contributions nationales, organiser le bilan mondial quinquennal des efforts collectifs, définir précisément le fonctionnement du mécanisme de transparence et de contrôle, etc.
Cette négociation du Rule Book de l’accord a abouti en large partie – et non sans mal – lors de la COP24 à Katowice (Pologne), en 2018. Mais certains éléments avaient été renvoyés à la COP suivante. Bien qu’elle ait été largement prolongée, devenant la plus longue COP de l’histoire des négociations climatiques, la COP25 n’est pas non plus parvenue à trancher les points les plus controversés.
Parmi eux, figure la question de l’article 6 sur les marchés du carbone qu’il s’agisse d’échange de quotas entre pays ou de marchés privés. Il faut éviter que les crédits soient comptés deux fois (par le vendeur et l’acheteur) conduisant à de fausses baisses d’émissions. Autre élément conflictuel : la possibilité ou non de reporter les crédits accumulés dans le cadre du protocole Kyoto pour les faire valoir après 2020. Si les compteurs ne sont pas remis à zéro, les pays pourraient utiliser ces crédits au lieu de réduire leurs émissions dans la période post-2020.
Enfin, les pays en développement voudraient qu’une part importante des « recettes » soit prélevée pour alimenter le Fonds pour l’adaptation et financer les mesures d’adaptation. Sur tous ces points, aucune décision n’a pu être adoptée, ce qui, pour l’intégrité environnementale de l’accord, vaut mieux qu’une mauvaise décision.
La COP n’a pas pu non plus se mettre d’accord sur certains éléments nécessaires pour finaliser le cadre de transparence renforcé de l’article 13 de l’accord de Paris et le bilan mondial des efforts collectifs de l’article 14, qui doit être organisé tous les cinq ans.
Les discussions ont porté sur les formats, le contenu des rapports, le calendrier des engagements nationaux, le registre des contributions nationales et celui des communications relatives à l’adaptation, le rôle du groupe consultatif d’experts, les métriques pour le calcul des émissions nationales, ou encore les informations qui viendront nourrir le bilan mondial. Ce dernier se présentera-t-il comme un atelier d’experts ou un espace de discussion largement ouvert, y compris à la société civile ? À la COP26 de trancher fin 2021.
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Pas d’avancées non plus sur les financements climatiques à long terme. En effet, selon les dernières données de l’OCDE, les pays développés ont versé seulement 79 milliards de dollars aux pays en développement en 2018.
Ce montant est certes en progression, mais encore loin de l’objectif de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, promis lors de la COP 21. L’effort doit en outre être tempéré. Oxfam considère par exemple que les chiffres sont largement surévalués et souligne que la majorité de ces financements sont des prêts, et non des subventions et que, pour près de la moitié, octroyés selon des taux très peu avantageux par rapport au marché. Quant au Fonds vert pour le climat, il n’a donné lieu qu’au versement de 1,2 milliard depuis 2015.
Alors que l’objectif 2020 n’est pas atteint, la COP doit s’entendre sur un nouvel objectif chiffré à partir du plafond des 100 milliards avant 2025 et cela risque d’empoisonner les relations Nord-Sud.
Les acteurs non étatiques, une clé du succès
Depuis la COP20, au Pérou, en 2014, le régime international du climat cherche à mobiliser les acteurs non étatiques et infraétatiques en faveur du climat et à diffuser les « bonnes pratiques ». C’est important et même nécessaire de parvenir à toucher les villes, régions, entreprises, qui sont les principaux émetteurs et qui ont entre leurs mains une grande partie des solutions.
Les initiatives en ce sens se sont multipliées, dans le cadre de la COP (Marrakech Partnership for Global Climate Action et ses champions du climat et Global Climate Action Portal) ou en dehors (Climate Initiatives Platform onusien ou One Planet Summits français). Ces processus rencontrent un large succès, avec la floraison de coalitions multiacteurs pour le climat et un Global Climate Action Portal dans lequel plus de 18 000 acteurs ont enregistré plus de 27 000 actions.
Ces dispositifs pèchent toutefois par le manque de suivi et n’échappent pas au risque de greenwashing ou d’incohérences, comme le souligne une étude récente du Réseau Action Climat qui esquisse aussi quelques pistes possibles pour une amélioration du suivi et une articulation mieux pensée avec les objectifs des États.
Le processus multilatéral doit évoluer
Le régime international du climat, avec ses COPs et multiples organes subsidiaires ou experts reste, pour reprendre l’expression d’Amy Dahan et Stefan Aykut, une « fabrique de la lenteur », qui apparaît comme de plus en plus déconnectée de l’urgence climatique et d’une demande sociale pressante.
L’enjeu principal aujourd’hui est l’application de l’accord de Paris à l’intérieur des États. La COP doit sortir des discussions techniques sans fin pour se recentrer sur la mobilisation politique, le suivi comme garant de la confiance mutuelle, et l’orchestration de l’action et des politiques de tous les acteurs à tous les niveaux.
Il est sans doute temps de repenser le fonctionnement des COPs, s’agissant aussi bien de leur rythme, que de leur format, pour éviter que ne se succèdent des boring COPs sans prise avec le réel et faire au contraire en sorte que le processus joue son rôle indispensable pour nous placer sur la trajectoire dessinée en 2015 à Paris.
Sandrine Maljean-Dubois, Directrice de recherche CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.
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