Au Mali, l’on soutient de plus en plus que les universités publiques ne forment que des chômeurs. Dans les lignes qui suivent, le blogueur Sagbi relate la réaction des internautes suite à une publication sur son compte Facebook.
« [Vous] formez des milliers [de] jeunes dans du n’importe quoi [en lettres modernes ?], aucun débouché sur le marché de l’emploi », tel est le commentaire qu’a fait un internaute sur un post d’une page Facebook. Cette page est celle du département de Lettres de l’Université des Lettres et des Sciences humaines de Bamako (ULSHB), laquelle est suivie par plus de 15 000 abonnés. C’était suite à l’annonce de la publication des résultats définitifs des licences 2 et 3, de l’année universitaire 2018-19.
Étant abonné à cette page, j’ai pu lire cette publication sur mon fil d’actualité. Le post contenant l’adjectif « intouchables » mis entre griffes, il m’est arrivé de penser que, ces résultats étant définitifs déjà, il n’y aurait plus d’autres recours par réclamation. « Intouchables », sans vouloir faire du pléonasme ou autre chose, est utilisé pour insister davantage sur cet aspect d’impossibilité de réclamation. C’est rigolant, peut-être, voire énervant même.
Conscient que cette lecture peut ne pas être celle des autres, mais aussi que l’on trouve souvent les commentaires plus intéressants et enrichissants que la publication initiale elle-même, je me suis donc mis à lire quelques commentaires. C’est comme cela que j’ai trouvé ce commentaire annoncé d’entrée. Je l’ai repris sur mon compte Facebook pour recueillir l’avis des autres comme il m’arrive souvent de provoquer de telles discussions. Je vous livre ci-dessous quelques commentaires, dans l’espoir que vous y trouveriez du plaisir à les lire…
Amidou Yanogué : « Le sentier bâti n’existe pas, il faut en créer »
« Au Mali il y a un sérieux problème d’orientation ! Je pense qu’on doit délibérément choisir une filière et assumer toutes les conséquences qui en découlent. On doit être en accord avec son temps. Les filières doivent certes répondre aux besoins les plus urgents de la société, mais les étudiants doivent savoir s’auto-employer. L’État ne peut pas embaucher tout le monde. Il faut savoir se frayer un chemin parmi les ronces.
Je prends un exemple sur moi-même : après mes études universitaires, j’ai accompagné un ami (camarade de fac) en qualité de stagiaire dans un établissement privé. Et après j’ai eu moi-même des heures dans des écoles privées, mais un jour, quand j’enseignais une matière (le projet personnel) que j’ai apprise sans avoir reçu une formation initiale, l’envie de me frayer un chemin turlupina mon esprit. J’ai dû arrêter deux ans l’enseignement pour revenir cette année pour une deuxième fois. En dehors de mes aptitudes scolaires, je suis maçon (très bien qualifié) et j’ai appris à être technicien à force de pratiquer. Je travaille souvent au compte des entreprises de BTP comme technicien. Il m’arrive de gérer moi-même des chantiers. Je suis littéraire et mes activités ne nuisent nullement à ma passion. Le sentier bâti n’existe pas, il faut en créer. »
Mohamed kipsi : « La formation est un droit. L’emploi est tout autre »
« Je ne suis pas d’accord Sagbi avec cet étudiant. La formation est un droit. L’emploi est tout autre. Peut-être lui ne sera rien après sa licence. Plusieurs sont ceux qui travaillent aujourd’hui grâce à cette licence Lettres — Modernes. Ensuite, cette licence est un passeport qui lui ouvre d’énormes opportunités. Je connais plein de jeunes qui sont devenus aujourd’hui des enseignants, des journalistes et autre chose et ont pu se créer d’autres opportunités grâce à cette licence. La vérité est que si tu es bien, tu seras sollicité là où tu partiras… »
L’élève des poètes : « ces activités sont des sources de revenus »
« Si à la fac des lettres on donnait une formation professionnelle, il y a lieu de se plaindre, mais du moment où c’est une formation générale comme dans toutes les universités publiques du Mali, je ne vois pas pourquoi cela devrait être surprenant.
Celui qui veut avoir une licence ou master professionnel, à mon avis, ce n’est pas à l’université publique du Mali qu’il faut s’inscrire. C’est amer de le dire, mais c’est ainsi.
Je ne connais pas l’auteur du commentaire, mais prière de lui dire que les lettres modernes sont toutes sauf du n’importe quoi. Aujourd’hui, j’ai eu la chance de faire des études en arts et culture, je peux ainsi dire merci à Dieu. Merci à Dieu, car je ne me suis pas contentée du journalisme culturel, j’ai aussi appris à faire des photos, à jouer dans des pièces de théâtre et films. L’écriture étant une passion, j’écris aussi et mon nouveau coup de cœur est le Slam. Toutes ces activités sont des sources de revenus — si je le veux.
Certes l’école donne des formations, mais ça ne garantit pas le boulot. Même ceux qui sont fruits des écoles professionnelles ne réussissent pas tous dans les domaines dans lesquels ils sont diplômés. Ce serait donc bien pour une fois que le Malien surtout le jeune apprenne à s’assumer. »
Hamidou Dicko : « avoir un job le plus tôt possible… »
« Ceux qui disent qu’ils ont étudié par amour d’une filière, c’est leur problème. Sinon, moi, j’ai opté pour le mien afin d’avoir un job le plus tôt possible….
Donc nous revendiquons la fermeture immédiate des filières inadaptées au marché de l’emploi, car c’est inutile pour un pauvre d’étudier des années et passer toute sa vie en chômage. […] Si je savais que l’université était futile, j’allais rester au village pour être un bon agriculteur. »
« Le monde de l’emploi recrute chaque jour, pas des vauriens »
« J’ai choisi d’étudier les lettres modernes et je ne le regrette pas. J’ajoute que je le ferai à nouveau si j’avais à le faire. », a réagi celui que le blogueur appelle affectueusement chef Issoufi Dicko.
Mohamed El Moctar Touré (dit Tatar Hima) aussi abonde dans le même sens : « J’ai choisi les Lettres modernes parce que je suis moi-même déjà les Lettres. Je n’ai pas fait les Lettres. Je suis moi-même les Lettres. » Bintou Diarra également manifeste ce même sentiment de fierté d’avoir étudié les Lettres modernes. Et Boubacar Touré d’ajouter ceci : « Le monde de l’emploi recrute chaque jour, mais ne recrute pas des vauriens comme ça. Imaginez, un sortant de l’Université qui s’exprime de la sorte, quelques simples phrases bourrées de fautes. »
J’espère que vous avez pris bonne note de ces réactions et que vous vous demandez : « mais qu’est-ce que, lui, il pense de tout cela ? » Bien alors ! Le blogueur, pour sa part, croit avoir lu aussi, dans les commentaires, cette courte et simple phrase de Mama Bissa : « Étudiez seulement ! » Je trouve que celle-ci exprime ou résume une autre phrase que j’aime le plus souvent citer quand on discute de la problématique de l’adaptation ou inadaptation de nos études universitaires au marché de l’emploi : « Heureux ceux chez qui l’école, par l’exercice à vide, n’a pas tué définitivement le désir du savoir et de la formation humaine. » (Paul Langevin, in La pensée, Culture et Humanités, N° 1 Oct-déc. 1944)
P.S : Au moment où je m’apprête à boucler ce billet, il est 22 h 33’ à Bamako. L’intéressé, contacté via messenger depuis 15 h 14 min, n’a pas encore réagi à ma question, consistant à savoir ce qu’il voulait réellement exprimer dans son commentaire, alors qu’il semble l’avoir lue.
Sagbi
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