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Quand les urnes ne suffisent plus : la crise silencieuse du modèle électoral africain

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    En 2025, le continent a voté plus que jamais. De la Guinée à la Centrafrique, du Gabon à la Côte d’Ivoire, les élections se succèdent, mais la promesse démocratique s’éloigne. Derrière l’apparence d’un pluralisme électoral, un constat s’impose : les scrutins n’ont pas tenu leurs promesses de changement. Pour nombre d’Africains, il est temps d’inventer une autre voie.

    De Conakry à Bangui, les bulletins de vote s’empilent, mais la confiance s’effrite. Depuis janvier 2025, une quinzaine d’élections nationales ont eu lieu sur le continent. Pourtant, de Bamako à Abidjan, le scénario se répète : des scrutins présentés comme un retour à l’ordre constitutionnel, mais qui consacrent souvent le statu quo.

    La Guinée, qui a voté le 28 décembre pour tourner la page de la transition, qui règne dans le pays depuis 2021, illustre cette contradiction. Le général Mamadi Doumbouya, artisan du coup d’État, s’est porté candidat après avoir fait adopter une nouvelle Constitution supprimant la clause interdisant aux membres de son regroupement de briguer la magistrature suprême. Comme souvent, la transition militaire a accouché d’une légitimation électorale du régime en place.

    À Bangui, Faustin-Archange Touadéra poursuit la même logique : un référendum constitutionnel a effacé les limites de mandats, ouvrant la voie à une présidence prolongée sous la protection de ses alliés russes. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, réélu pour un quatrième mandat, verrouille le jeu politique derrière une façade institutionnelle solide mais figée.

    Les urnes, censées apaiser et refonder, deviennent l’instrument de reconduction du pouvoir.

    Des élections sans alternance

    L’Afrique subsaharienne est aujourd’hui la région du monde où l’on vote le plus — mais où l’on change le moins de dirigeants. En 2025, seuls deux pays, le Malawi et les Seychelles, ont connu de véritables alternances démocratiques. Ailleurs, les scrutins ont confirmé une tendance inquiétante : le retour des présidents indéboulonnables, la modification des Constitutions à la carte et l’exclusion méthodique des opposants crédibles.

    Au Gabon, le général Brice Oligui Nguema a remporté en avril 94,85 % des voix, un score quasi monarchique. En Tanzanie, Samia Suluhu Hassan a obtenu 97,9 % dans un contexte où toute opposition organisée avait été neutralisée. Au Cameroun, Paul Biya a été reconduit pour un huitième mandat à 91 ans.

    Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ce n’est plus le peuple qui choisit, mais le pouvoir qui se légitime.

    Une lassitude populaire, une abstention massive

    Les taux de participation illustrent mieux que les discours la désaffection démocratique. En Côte d’Ivoire, à peine un électeur sur trois s’est déplacé pour les législatives de décembre. En Guinée, les appels au boycott ont trouvé un écho profond dans une population convaincue que tout est joué d’avance.

    Cette fatigue électorale est aussi une fatigue sociale : chômage, inégalités, corruption et crises sécuritaires gangrènent des États qui, malgré leurs élections, ne changent pas de trajectoire. Dans nombre de pays, voter ne rime plus avec espérer, mais avec subir.

    Les urnes ne sont plus un symbole de souveraineté populaire, mais une formalité destinée à rassurer les partenaires internationaux et les bailleurs.

    L’impasse du modèle importé

    Depuis les années 1990, la démocratie africaine s’est construite sur un modèle de mimétisme institutionnel : multipartisme, élections régulières, commissions électorales, observateurs internationaux. Mais derrière ces formes empruntées aux démocraties libérales, les réalités africaines — sociales, communautaires, culturelles — ont souvent été ignorées.

    « Nous avons copié les urnes, pas les institutions », résume un politologue béninois. Sans contre-pouvoirs solides, sans justice indépendante, sans partis enracinés, les élections deviennent des compétitions d’appareil, vidées de sens.

    Dans un continent où les États peinent encore à garantir l’eau, l’électricité ou la sécurité, l’élection n’a jamais suffi à construire la légitimité politique. Le vote ne peut remplacer ni la redevabilité ni la participation citoyenne continue.

    Pour une nouvelle voie africaine

    Alors que l’Occident continue d’imposer l’élection comme horizon unique de la démocratie, de plus en plus de voix s’élèvent en Afrique pour repenser le contrat politique. Des intellectuels, des militaires et des acteurs de la société civile défendent l’idée d’une refondation endogène : une gouvernance basée sur la concertation, la décentralisation réelle, la revalorisation des autorités locales et la souveraineté économique.

    Cette approche n’est pas un rejet de la démocratie, mais une réinvention : une démocratie africaine capable d’articuler tradition et modernité, consensus et responsabilité, légitimité populaire et efficacité institutionnelle.

    Les expériences récentes de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée le 16 septembre 2023 et regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui met en avant la souveraineté et la sécurité collective plutôt que la compétition électorale, s’inscrivent dans cette recherche d’un modèle alternatif.

    L’Afrique n’a pas besoin de moins de démocratie — elle a besoin de plus de sens démocratique.

    Vers une révolution du sens politique

    Le cycle électoral de 2025 aura donc révélé bien plus qu’un simple calendrier de votes. Il aura exposé la crise du modèle démocratique importé. Partout où les élections se succèdent sans changement réel, la question se pose : faut-il continuer à voter pour légitimer l’immobilisme ?

    Les peuples africains ne rejettent pas la démocratie. Ils rejettent son simulacre. Entre abstention silencieuse et aspirations nouvelles, une génération réclame autre chose : des institutions qui rendent des comptes, des dirigeants qui incarnent une vision, et des mécanismes de gouvernance qui ne se réduisent pas à un scrutin quinquennal. Cela nous rappelle les propos de Karl Popper qui explique la démocratie par la possibilité de renverser pacifiquement les gouvernants plutôt que sur le « gouvernement du peuple ». La démocratie est donc, dans la conception poppérienne, le régime qui permet des alternances « sans effusion de sang ». Alors comment faut-il nommer aujourd’hui les systèmes qui règnent en Afrique? Des simulacres de démocraties. 

    Les urnes ne suffisent plus. L’Afrique doit désormais inventer sa propre grammaire politique — une démocratie du réel, enracinée dans ses sociétés, portée par ses peuples, fidèle à son histoire.

    Chiencoro Diarra 


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