En 2020, l’anniversaire des cinq ans de l’accord de Paris aura été l’occasion de constater l’insuffisance des actions initiées pour lutter contre le réchauffement climatique. Toutes les voix se font entendre dans une surenchère de désolation ; on se réjouirait presque que la Covid-19 ait réussi, là où nous avons échoué, à réduire de 7 % en 2020 les émissions mondiales de gaz à effet de serre !
Quant à la « bonne nouvelle » du retour des États-Unis dans l’accord de Paris, elle se fracasse elle aussi au mur du réel : non seulement la prise de conscience du dérèglement climatique n’a que peu évolué, non seulement nos pratiques environnementales ne progressent pas suffisamment, et sur un certain nombre de comportements – comme la considération des produits d’emballage, la mise en veille des appareils électriques ou les transports en commun –, elles auraient même tendance à décroître.
Au moment où les enjeux environnementaux deviennent de plus en plus pressants, il peut être intéressant d’interroger ces blocages.
Alors que ce qui pouvait être perçu il y a encore quelques années comme un simple « réchauffement » s’apparente de plus en plus à une réelle « crise climatique », un rappel de quelques principes fondamentaux en matière de gestion de crise peut se révéler bien utile.
Les fondamentaux de la gestion de crise
L’analyse en profondeur d’un très grand nombre de crises, et ce dans l’ensemble des domaines politiques, industriels ou financiers, permet d’identifier des caractéristiques récurrentes.
• Le paravent du sentiment de l’urgence
Nous vivons dans un ultra court-termisme qui nous empêche de considérer les risques de moyen et long terme. L’urgence du jour se substitue ainsi facilement à l’urgence climatique et oppose de ce fait un solide bouclier à la prise de conscience des déséquilibres en train de se creuser.
Cette urgence du présent altère considérablement notre perception du risque climatique, vécu à la fois comme trop éloigné dans le temps – la quasi-totalité des conséquences se situant dans un avenir plus ou moins lointain, 2050 ou 2100 – et dans l’espace, puisqu’il suffit de faire une recherche « réchauffement climatique » sur un moteur de recherche pour ne visualiser que des ours polaires perdus sur un morceau de banquise.
• Le déni de réalité
Tous ceux qui veulent anticiper les crises savent qu’ils devront affronter le scepticisme de nombreux décideurs, persuadés qu’ils seront toujours en capacité de faire face, le cas échéant. N’oublions pas que les crises, quelles qu’elles soient, sont toujours le résultat d’une accumulation de dysfonctionnements, confinant à la rupture, et d’une accumulation d’ignorance sur ces dysfonctionnements, dont la reconnaissance serait quasi rédhibitoire sur le plan politique.
Sommes-nous prêts à assumer que l’impasse climatique devant laquelle nous nous trouvons ne résulte que de notre refus de répondre aux questions posées depuis près de trente ans ? Pas si sûr.
• La surcharge informationnelle
Le trop-plein d’information dans lequel nous aimons baigner pour soi-disant éclairer nos décisions, lamine en réalité notre discernement. Ceci est particulièrement frappant dans le cas de la pandémie actuelle ; notre capacité à diagnostiquer les informations réellement importantes pour identifier les signaux d’alerte se trouve réduite.
Utiliser les acquis de la gestion de crise pour dépasser ces blocages inhibiteurs de l’action peut aider.
Une sensibilisation désincarnée au risque
Les spécialistes de la gestion de crise savent que ce n’est pas en apportant davantage d’informations que l’on parvient à mobiliser les institutions publiques, les collectivités territoriales ou les entreprises autour des solutions pour surmonter le risque.
Si l’information en elle-même apporte une connaissance, pour passer à l’action, d’autres techniques doivent être mobilisées. Savoir n’est pas agir. Or le temps de l’action est largement arrivé !
On ne réussit non plus jamais à empêcher une crise en effrayant les gens. Or, en matière climatique, la communication reste essentiellement basée sur la peur. Cela se vérifie particulièrement dans le discours médiatique, friand d’événements météorologiques extrêmes.
Ce constat ne fait plus l’objet de discussion dans les laboratoires de recherche : la peur paralyse et inhibe toute velléité d’action.
Le seul paramètre réducteur de cet effet est d’adjoindre au message d’alerte une information visant à démontrer l’efficacité des solutions et la part de responsabilité de chacun. À défaut, tout message alarmiste procure des effets à l’inverse de l’objectif initial. La sensibilisation environnementale doit en finir avec le registre de la peur.
Il est nécessaire de connecter le risque aux réalités vécues par chacun et à l’image que nous avons de nous-mêmes. Il en est de l’environnement comme de la sécurité routière. Nous avons tous le sentiment d’être un bon écocitoyen, comme celui d’être un bon conducteur !
En conséquence, toutes les campagnes de sensibilisation atteignent difficilement leur objectif faute d’être suffisamment personnalisées.
Ne pas se tromper d’ennemis
La gestion de crise a franchi un palier majeur au début des années 2000, lorsqu’elle a arrêté de considérer l’anticipation des crises comme un problème purement technique basé sur des cartographies de risques toujours plus sophistiquées.
Les attentats du 11 septembre 2001 ont majoritairement contribué à cette évolution en faisant passer la gestion de crise d’une expertise pointue intéressant les organisations exploitant des technologies à risque (nucléaire, transports, agroalimentaires, etc.) à un savoir-faire managérial intéressant les organisations de toute nature et de toute taille.
Pour passer à l’action et réduire les risques de crise, il est nécessaire d’impliquer le plus grand nombre et non quelques décideurs et, surtout, donner envie.
En matière climatique, il est désormais impératif d’arrêter de faire référence à l’objectif de neutralité carbone en 2050 ou à celui du seuil des deux degrés d’élévation de température en 2100.
Les discours doivent en finir avec les registres psychologiques de l’alourdissement des contraintes (même si ceux-ci sont parfois justifiés) puisqu’ils connotent immédiatement une diminution de plaisir. Nous avons pu constater que toute nouvelle procédure de gestion de crise perçue par les salariés comme accroissant leur charge de travail était rapidement rejetée.
Dans le domaine économique, on ne mobilise pas une entreprise par l’évocation des risques évités. Il en est de même dans le domaine public : la parole politique – du moins celle faisant la promotion d’une société soucieuse des grands enjeux de la transition écologique – doit se réorienter pour se focaliser sur un modèle de société défendant une qualité de vie moins stressante, un air plus pur, une alimentation plus saine et une énergie plus propre.
Si nous voulons vraiment que les citoyens se mobilisent pour la transition écologique, arrêtons de considérer que notre principal ennemi s’appelle le CO2 et que notre objectif principal serait la neutralité carbone !
Thierry Libaert, Professeur en science de l’information et de la communication, Université catholique de Louvain and Christophe Roux-Dufort, Associate professor, Université Laval
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.
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