Home Arts et Culture Ibrahim Ag Mohamed, écrivain : « Nous existons parce que nous avons une langue »

Ibrahim Ag Mohamed, écrivain : « Nous existons parce que nous avons une langue »

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Ibrahim Ag Mohamed est écrivain, chercheur indépendant et directeur de l’académie d’enseignement de Kati. Ses recherches portent notamment sur les faits de société. Ses nombreux écrits suivent également la même ligne directrice. Ils portent généralement sur l’éducation et la culture. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de ses écrits, de ses inspirations, de ses projets ainsi que des solutions qu’il préconise pour la résolution de la crise de l’école malienne.

Phileingora : quelles sont vos sources d’inspiration dans le domaine littéraire ?

Ibrahim Ag Mohamed : mes sources d’inspiration dans ce domaine sont de deux : la culture et l’école. Ces deux sources se rejoignent. Toutes les cultures m’intéressent, particulièrement les cultures maliennes. C’est vrai que jusque-là je n’ai écrit que sur la culture Tamasheq, notamment Tamasheq de la région de Kidal. Cela est sûrement dû au fait que je connais celle-ci plus que les autres. Toutefois, j’estime que toutes les cultures se valent.

La culture a un côté fantastique. Lorsque vous aimez votre culture, à un moment donné, vous allez aimer toutes les autres cultures sans aucune autre distinction. Lorsqu’on est versé dans la culture, partout où on se retrouve on se verra chez soi. Parce que vous verrez plus les similitudes, les ressemblances que les différences. 

Tous mes écrits sont des livrets scolaires et des ouvrages sur la langue. Nous existons parce que nous avons une langue. Toute notre histoire, tout notre être est dans notre langue. C’est un élément essentiel de toute culture. 

Vous êtes auteur de plusieurs ouvrages, dont des manuels scolaires. Dites-nous ce qui vous motive à écrire ces ouvrages.

Je rappelle que la plupart de ces ouvrages sont des manuels scolaires en langue nationale Tamasheq. Cela, parce que j’ai senti un besoin de faire la promotion de la langue nationale Tamasheq. On ne saurait faire la promotion d’une langue qui n’est pas écrite. Heureusement qu’il y a une disposition qui fait que la langue nationale Tamasheq est écrite et étudiée au Mali. On ne saurait l’outiller si on ne fait pas des recherches. Voilà pourquoi j’ai écrit deux ouvrages. D’abord des ouvrages de lecture et écriture pour la classe de première année et de deuxième année. Ces deux livrets ont été validés par le ministère de l’Éducation nationale en 2016.

Faisant référence au Petit dictionnaire et à la Grammaire comparée, ils sont destinés à tous ceux qui s’intéressent à la langue Tamasheq, notamment aux enseignants chargés d’enseigner la langue Tamasheq. Ils sont destinés également aux étudiants, aux chercheurs. Ce qu’il y a de particulier dans le Petit dictionnaire de 7000 mots, c’est qu’il porte sur les cinq domaines d’enseignement : langue et communication, sciences humaines, développement de la personne, art et sciences-mathématiques-technologie.

La Grammaire comparée vise à faire un parallèle dans le cadre de la bi-grammaire, c’est-à-dire dans l’enseignement bilingue français-Tamasheq ou Tamasheq-français, en faisant ressortir les ressemblances, les différences pour que l’enseignant qui aura enseigné dans un contexte de bilinguisme puisse avoir les informations qui lui permettent d’enseigner les deux langues en tenant compte de leurs ressemblances et de leurs différences. 

L’histoire de l’écriture chez moi se ressent d’abord comme un besoin. Mais c’est surtout l’écriture des langues qui me plaît. Quel que soit ce sur quoi je vais écrire, ce serait en relation avec la langue. 

Vous avez publié en 2017, « La société Kel Adagh : entre conservatisme, déficit de gouvernance et crises ». Pouvez-vous nous expliquer de quelle société parlez-vous ?

Le livre a été publié en 2017. Il aurait pu l’être un peu plus tôt. Parce qu’il a été écrit en 2012. Je parle essentiellement de la société des Adrars, c’est-à-dire de l’Adrar des Inforas, de Kidal.

Veuillez nous expliquer comment le Kidalois a vécu et intériorisé toutes les crises sécuritaires depuis l’indépendance du Mali ?

Cet exercice risque d’être fastidieux. Parce que tout l’ouvrage est émaillé de l’opinion du citoyen kidalois sur toutes les crises survenues dans cette partie du Mali depuis bien avant les indépendances jusqu’à nos jours. Une opinion du Kidalois qui s’est construite au fil du temps, de bouche à oreille, de génération en génération. La meilleure façon de la découvrir, c’est de lire l’ouvrage. 

En quoi ce livre peut-il être utile à la gestion de la crise malienne ?

La première partie de l’ouvrage parle de la culture de la société Kel Adagh. Quant à la seconde partie, il s’agit de l’histoire des Kel Adagh, l’évolution de la société, de l’économie, l’évolution sécuritaire. Le schéma traditionnel de la société a été bousculé par l’avènement de la démocratie et de la décentralisation. Je pense qu’il y a un lien très visible entre cette réalité de la société Kel Adagh et les réalités des autres sociétés traditionnelles maliennes.

L’évolution de la crise actuelle a laissé paraître que ceux-là qui veulent aujourd’hui nous détruire, détruire le Mali ont exploité des failles qui sont survenues dans le schéma de la société traditionnelle, dans le vivre ensemble de cette société, qui est entrée dans une crise profonde avec l’avènement de la démocratie et de la décentralisation. Ils ont exploité ces failles pour essayer de mettre les communautés dos à dos.

Comprendre comment nos sociétés sont en crise permet de comprendre les schémas traditionnels de fonctionnement, comprendre jusqu’à quel degré ils sont en crise, l’origine de la crise, à quoi consiste la crise interne à nos sociétés. Je crois que cela est un atout dans la gestion de la crise actuelle. 

Avez-vous rencontré des difficultés dans la publication de vos ouvrages ?

Lorsqu’on a pour objectif d’écrire et de se faire publier, on rencontre toujours des difficultés. La première grande difficulté est d’ordre social. Lorsque vous êtes écrivain, chercheur, vous êtes souvent amenés à réfléchir et à écrire dans la solitude. Cela a des inconvénients sur le plan social. La deuxième difficulté, c’est le retard que peuvent prendre les publications lié aux problèmes que votre éditeur peut avoir. La troisième difficulté est en rapport à la non-maîtrise de la langue nationale par ceux-là qui sont chargés de la mise en forme et quelquefois les illustrations. Des gens qui le plus souvent ne sont pas locuteurs de la langue. Une fois que des difficultés surviennent par erreurs de manipulation, il y a des problèmes pour résoudre la situation. Hormis ces quelques difficultés, il n’y a pas d’autres difficultés majeures. 

Quels sont vos futurs projets littéraires ?

J’ai au moins trois livrets scolaires qui n’ont pas encore été certifiés, validés et édités. J’ai un livret scolaire première année en mathématiques, qui est fini, mais qui n’est pas édité. J’ai un autre livret scolaire en lecture et écriture, niveau troisième année, qui n’est pas encore édité. J’ai un autre livret scolaire en sciences humaines, 4e année, qui n’est pas non plus édité. J’ai aussi en ce moment mon premier roman, qui est terminé, mais qui n’est pas encore chez l’éditeur. 

Il peut avoir d’autres projets. Car les projets chez moi, c’est à l’envie.

En tant qu’écrivain engagé, quelle lecture faites-vous aujourd’hui de la crise éducative que traverse le pays ?

En tant que citoyen, en tant que chercheur indépendant, je ne peux pas ne pas être sensible à la crise que traverse l’école malienne en ce moment. Le piteux état dans lequel l’école se trouve aujourd’hui me touche à plus d’un titre. Parce que je suis un produit de l’école malienne et aussi je suis enseignant dans l’âme.

 La situation actuelle de l’école malienne m’attriste. Mais en tant qu’enseignant et en tant qu’administrateur scolaire, je fais ce que je peux pour apporter ma pierre à l’édifice afin de solutionner les problèmes que l’école rencontre. En tout cas, au niveau de ma circonscription et cela au quotidien. 

Pour en venir à votre sous-question, pour solutionner le problème de l’école malienne, il faut commencer par dépolitiser entièrement le système éducatif. Cela doit commencer par la nomination des cadres qui ont en charge d’encadrer le système éducatif malien. Je veux dire par là que de ministre de l’Éducation nationale jusqu’à l’enseignant qui est en classe, aucune nomination ne doit se faire de façon politique. Cela veut dire que ceux-là qui sont chargés d’encadrer le système éducatif ne doivent avoir aucune autre motivation que celle de servir l’école. Ils ne doivent être sous l’emprise d’aucun politique et d’aucun parti politique. Ensuite, il va falloir revoir le statut des enseignants. Je le rappelle, l’école, ce ne sont pas les salles de classe, ce n’est pas seulement les livres, ce n’est pas seulement les méthodes. L’école, c’est surtout et d’abord l’enseignant. Lorsqu’on a un bon enseignant, bien formé, bien motivé, on a l’école. Un enseignant bien formé en formation initiale, bien cultivé, et à qui le système a donné la possibilité de se former de façon continue, à lui seul, forme une école.

Mais toute cette formation ne servirait à rien si l’enseignant n’est pas motivé à faire correctement son travail. La motivation est de deux ordres. La première forme de motivation est celle qu’on a par vocation. On aime son métier et on le fait correctement parce qu’on aime le métier enseignant, les enfants, les rites scolaires, les traditions scolaires. La deuxième forme de motivation est celle créée par l’environnement de l’enseignant, c’est-à-dire que l’enseignant est dans les conditions matérielles de travail qui lui permettent de bien travailler. Un environnement humain, physiques favorables, des conditions matérielles qui donnent envie à l’enseignant de travailler.

Il faudrait également qu’il y ait un véritable contrôle. Non pas seulement le contrôle pédagogique, mais le contrôle à tous les niveaux. Ce contrôle vaut pour les écoles publiques aussi bien que pour les écoles privées. Car les écoles privées occupent aujourd’hui une place importante dans l’éducation au Mali. On ne peut pas s’en passer. Mais toutes les écoles doivent obéir aux normes qui existent. Il faut que les normes soient respectées pour que l’école redevienne cette institution respectable que le peuple malien a toujours voulu.

Interview réalisée par

Fousseni Togola


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