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Fécondité : et si la vraie crise n’était pas dans le nombre d’enfants… mais dans le droit d’en avoir ?

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Et si la véritable crise démographique n’était ni dans la surpopulation ni dans l’hiver des berceaux, mais dans l’impossibilité, pour des millions d’individus, de choisir librement d’avoir  ou non  des enfants? Le dernier rapport du FNUAP brise les certitudes et rappelle que la fécondité est d’abord une affaire de dignité et de justice sociale. Un miroir tendu à l’Afrique, où les chiffres impressionnent, mais où les libertés, elles, vacillent.

Des chiffres. Des courbes. Des taux de fécondité qui montent ici, qui baissent là. Des économistes qui paniquent à Tokyo, des ONG qui s’alarment à Niamey, des diplomates qui murmurent à Bamako. Et pendant ce temps-là, une question que personne ne pose ou trop rarement : qui, exactement, décide du nombre d’enfants qu’on veut, ou qu’on peut avoir ?

C’est là tout le sel — ou le désespoir, c’est selon — du dernier rapport du FNUAP, ce document annuel généralement lu à moitié, puis oublié dans un tiroir en attendant la prochaine conférence de donateurs. Sauf que cette fois, le ton change. Exit l’approche comptable. Le titre dit tout : « La véritable crise de la fécondité : la quête du libre arbitre dans un monde en mutation ». Autrement dit : et si la crise n’était pas biologique, mais politique ? Pas statistique, mais existentielle ?

Le dilemme n’est pas d’avoir trop ou pas assez d’enfants, mais de pouvoir choisir

Au fond, l’affaire est simple. Dans certains pays, on voudrait faire plus d’enfants, mais on n’en a pas les moyens. Ailleurs, on en fait encore beaucoup… mais pas toujours par choix. Entre ces deux extrêmes, une vérité invisible émerge : la procréation n’est ni un instinct mécanique ni une affaire d’État. C’est d’abord une affaire de liberté.

Et cette liberté, dans bien des endroits, reste une illusion. Le rapport du FNUAP est sans appel : près de 20 % des personnes interrogées dans 14 pays disent ne pas pouvoir avoir les enfants qu’elles désirent. 13 % déclarent avoir vécu à la fois une grossesse non souhaitée et une impossibilité d’avoir un enfant désiré. Ce n’est plus une tendance, c’est une tragédie silencieuse.

L’Afrique ? Trop jeune, trop féconde, trop pauvre… vraiment ?

Dans cette fresque mondiale, l’Afrique subsaharienne fait figure de contrepoint. Ici, pas de déclin démographique, bien au contraire : 4,3 enfants par femme en moyenne, et des sommets atteints dans les zones rurales maliennes ou nigériennes. De quoi raviver les fantasmes des démographes européens et les frissons des bailleurs nordiques.

Mais derrière la fécondité élevée se cache une autre réalité, bien plus complexe. Car si les Africaines font plus d’enfants, c’est aussi parce que les conditions pour en faire moins n’existent pas : éducation insuffisante, santé reproductive marginalisée, poids de la norme sociale, peur de l’insécurité ou de la vieillesse sans filets. Résultat : le libre choix procréatif est une illusion statistique.

Quand la jeunesse devient anxieuse… et stérile de projets

Faut-il s’étonner dès lors que les jeunes expriment un malaise profond ? Le rapport parle d’éco-anxiété. Les jeunes adultes redoutent un monde de pénuries, de conflits, de pandémies à répétition. Beaucoup réduisent volontairement le nombre d’enfants qu’ils auraient voulu avoir. Pas par confort. Par réalisme. Voilà comment une crise démographique devient aussi une crise de l’espérance.

Au Mali, les chiffres impressionnent : plus de 6 enfants par femme, une population qui bondira de 23,5 millions en 2025 à 50 millions en 2050, pour atteindre 100 millions à la fin du siècle. Dans un pays où les jeunes de moins de 25 ans représentent près de 67 % de la population, la promesse du « dividende démographique » est sur toutes les lèvres. Mais à quelles conditions ?

Éduquer, soigner, former, employer, protéger : cinq verbes pour conjurer le pire. Cinq chantiers encore trop inachevés.

Les politiques sont là, sur le papier : la Politique nationale de population, la vision du dividende démographique, les études économétriques. Mais dans les faits, la transition reste lente, et les disparités criantes : de 3,6 enfants à Kidal à 7,3 à Tombouctou, de 4,5 enfants pour les femmes instruites à 6,8 pour celles sans scolarité.

L’enjeu du siècle ? L’égalité dans la décision

On peut continuer de comptabiliser des taux de natalité et de produire des tableaux comparatifs. Ou on peut choisir une autre voie : celle de la dignité reproductive. Cela implique des choix politiques audacieux : généraliser l’éducation des filles, rendre accessibles les services de santé sexuelle, offrir des opportunités économiques réelles aux jeunes, hommes et femmes.

Il ne s’agit pas de dicter un modèle familial. Ni de promouvoir la dénatalité à la chinoise ou la natalité à l’européenne. Il s’agit simplement de garantir que chaque individu puisse dire : « Je choisis. » Et que ce choix ne soit ni puni, ni empêché, ni récupéré.

Dernier mot ? Loin du mythe de la bombe démographique, c’est une bombe sociale qui couve

Si la jeunesse du continent reste marginalisée, sans perspectives ni pouvoir sur son propre corps, le défi n’est pas démographique, il est politique. Le nombre d’enfants n’est ni un danger en soi, ni une solution miracle. Ce qui compte, c’est la possibilité de les avoir — ou non — dans des conditions dignes.

La fécondité ne se gère pas à coups de slogans. Elle s’écoute, elle s’accompagne, elle se respecte. C’est peut-être ça, le message du rapport FNUAP 2025. À méditer, surtout quand l’Afrique écrit les pages les plus jeunes — et les plus explosives — de sa propre histoire.

Chiencoro Diarra 


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