L’ex-Premier ministre, Moussa Mara, fondateur du parti « Yéléma, le changement », a accepté d’accorder une interview à l’hebdomadaire Sahel Kunafoni. Dans cet entretien, il est question de gouvernance, de réformes politiques et institutionnelles, de sécurité ainsi que de la relation entre le Mali et ses voisins. M. Mara ne voit pas de problème dans le fédéralisme. Mais il faut des préalables. Il estime aussi que l’avenir de la MINUSMA n’est clair de nos jours.
Sahel Kunafoni : cela fait plus d’une année que le Mali est gouverné par un régime de transition. Quelle lecture faites-vous de la situation socio -politico-sécuritaire de ce pays du Sahel ?
Moussa Mara : une situation complexe qui a débuté par une rébellion en 2012 ayant causé une instabilité institutionnelle dans un cadre où la médiocrité de la gouvernance avait profondément affaibli l’État et les Institutions. Aujourd’hui, elle est encore plus difficile avec la donne terroriste qui revêt également des aspects insurrectionnels contre l’action des pouvoirs publics avec des impacts significatifs sur la cohésion sociale du pays. Autrement dit le Mali fait face à des crises socio politiques et sécuritaires multiformes et liées les unes aux autres.
Depuis le renouvellement de son mandat en juin 2022, la MINUSMA rencontre des résistances. Quel avenir pour la force onusienne au Mali ?
La MINUSMA est un instrument de la communauté internationale pour aider le Mali dans la direction qu’il s’est choisie en 2015 en vue de mettre fin à la rébellion et stabiliser le pays sur le plan socio politique. Son sort dépend de ce fait d’abord du Mali et de ses autorités. Que voulons-nous exactement ? Comment voyons-nous la résolution de la crise de rébellion au Nord ? Comment voulons-nous que la communauté internationale nous aide dans cette direction ? La réponse à ces questions n’est pas claire aujourd’hui. À partir de là l’avenir de la MINUSMA ne sera pas clair non plus.
En Afrique de l’Ouest, notamment dans les trois pays (Mali-Guinée-Burkina Faso), qui vivent sous des régimes de transition, on parle de plus en plus de fédéralisme. Serions-nous face au retour des vieux démons des années d’indépendance ?
De quel démon parlez-vous exactement ? Le fédéralisme n’est ni un démon ni un mot tabou. Tous les pays africains souhaitent la réalisation des États unis d’Afrique et le Mali a déjà prévu cela dans sa Constitution, la Guinée également. La difficulté d’évoquer ce sujet en ce moment dans ces trois pays est due au fait que les pouvoirs de transition n’ont pas le temps qu’il faut pour mener ce type de projet. Ce n’est d’ailleurs pas leur vocation. Si vous regardez dans les chartes de transition de chacun des trois pays, vous ne verrez pas dedans que la réalisation de la fédération figure parmi les objectifs.
De toutes les façons, dans le contexte actuel de ces pays africains, que peut apporter ce fédéralisme, si l’on y réussissait ?
L’unité est toujours mieux que la singularité, y compris à l’intérieur de nos pays. Mais il faut être rigoureux quand on veut mener un dossier de ce type. En ce qui concerne le partenariat avec le Burkina Faso par exemple, je me rappelle que le Mali a déjà engagé avec ce pays en 2019 un programme ambitieux de collaboration économique entre la ville de Sikasso et celle de Bobo en y associant d’ailleurs Korogo en Côte d’Ivoire. Qu’est devenu ce projet ? Il faut peut-être commencer par réaliser des actions concrètes de ce type, permettre à nos populations de toucher du doigt les réalités de la coopération avant d’engager des chantiers majeurs comme le fédéralisme entre les deux États.
Au Mali, en vue de créer une réserve opérationnelle concernant la défense du territoire, les autorités transitoires ont instauré le service militaire obligatoire pour tout admis au concours de la fonction publique de l’État et des Collectivités, à travers le SNJ. Quelle pourrait être la portée d’une telle initiative ?
Je suis généralement réservé sur les questions d’armée de masse, d’armée de réserve au moment où nos forces armées elles-mêmes manquent d’effectifs, de formations et d’équipements. Moi je préfère des armées aguerries, professionnelles, équipées à suffisances et opérationnelles. On devrait orienter nos moyens sur cela et penser aux types de menaces auxquelles nous faisons ou nous serons susceptibles de faire face. Ces menaces ne nécessitent pas des armées de masse avec des réserves civiles, mais des troupes très aguerries, capables de s’adapter à différentes situations, des forces spéciales précises et mobiles…
En déplacement au Mali, la semaine dernière, le Premier ministre burkinabè a déclaré que le président malien de la transition est un « héros de l’Afrique ». Le Mali serait-il en train de retrouver sa renommée des années d’indépendance ?
Ce serait tant mieux si les décideurs maliens sont soutenus et pris en exemple en dehors du Mali. Cela est un motif légitime de fierté.
Depuis l’arrivée des autorités actuelle au pouvoir, quel bilan retenir en matière de refondation et de réformes politiques et institutionnelles ?
Il est tôt pour faire un bilan. Nous devons tous nous employer à ce que la transition réussisse et donc que tous les chantiers de la transition soient menés à bien. Il y a quelques réalisations qui sont à mettre en lumière : la rédaction en cours du texte constitutionnel après la publication d’un premier jet, l’adoption du code électoral, le travail sur la dépolitisation de l’administration, quelques initiatives en matière de lutte contre la corruption même si des efforts sont à poursuivre, l’entrée en fonction de l’autorité indépendante de gestion des élections même si des retards importants existent sur le chronogramme.
On peut mieux faire, nous devons tous nous employer à cela.
Des rumeurs circulent sur une possible candidature du Colonel Goïta aux prochaines élections présidentielles. Pensez-vous que cela puisse être possible ?
Tout est possible en politique, mais nous sommes encore loin de ces moments. Selon les textes de la transition, cela n’est pas envisageable que je sache. Pour l’instant, nous devons surtout travailler tous ensemble à ce que les tâches de la transition soient menées à bien. C’est cela l’intérêt du pays.
Propos recueillis par F. Togola
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