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Drissa Traoré : « L’heure n’est pas à la remise en cause de ce rapport »

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Drissa Traoré est le porte-parole de la Coalition citoyenne pour le sahel. Dans cette interview qu’il nous a accordée, mercredi 31 mars 2021, il se prononce sur le rapport de la MINUSMA sur la frappe à Bounti (au centre du Mali), la libération de Farabougou, dans la région de Ségou, ainsi que l’arrivée de 1200 soldats tchadiens dans le Liptako-Gourma. Il invite les autorités sahéliennes à mettre « au cœur des priorités » la protection des civils.

Phileingora : la MINUSMA a publié les résultats de son enquête sur la frappe aérienne de janvier à Bounti. 19 civils ont été tués lors de cette frappe de l’armée française. Mais la France remet en cause la méthodologie de l’enquête. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Drissa Traoré : l’heure n’est pas à la remise en cause de ce rapport. Quand l’événement s’est produit en janvier, nous avons demandé aux autorités françaises et maliennes de diligenter l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur cette situation.

Cette enquête a été menée uniquement par la MINUSMA. Les autorités concernées ne doivent pas se mettre à critiquer les conclusions de ce travail. Elles doivent plutôt accepter l’ouverture d’une enquête judiciaire pour établir les faits et le cas échéant situer les responsabilités.

Ce rapport confirme que cinq hommes armés se trouvaient bien parmi ces civils, le jour de la frappe. Mais les armées ne semblent pas avoir été alertées de cette présence. Cela ne vous semble-t-il pas inquiétant dans la sécurisation des civils ?

En répondant à cette question, il faut être extrêmement prudent. Je suis d’accord que ces groupes armés sont parfois mélangés à des populations civiles, qu’ils ont des complicités à l’intérieur de certaines populations au niveau de certaines zones, mais on ne peut pas non plus généraliser cette allégation.

Pourquoi ?

Dans plusieurs pays du sahel, certaines populations sont parfois obligées de cohabiter avec les nouveaux occupants à savoir les groupes djihadistes. Elles ont le plus souvent deux options : soit quitter la zone pour devenir une personne déplacée ou réfugiée ou encore rester sur place et coopérer avec les nouveaux occupants pour ne pas s’attirer des ennuis.

Les populations sont le plus souvent confrontées à ce dilemme. Ceux qui ont fait le choix de rester sur place, on ne peut pas les blâmer d’avoir fait ce choix. De toutes les façons, c’est l’État qui a failli en ne réussissant pas à les sécuriser.

Face à une telle situation, que faut-il faire ?

Les autorités doivent faire énormément attention dans le traitement, faire preuve de discernement lorsqu’il y a des arrestations ou des attaques, pour ne pas s’en prendre à la fois aux groupes armés et aux populations. Cela nécessite des renseignements efficaces qui vont dans le sens de la protection des civils. Dans plusieurs zones du Mali, la présence des groupes djihadistes est réelle. Parmi les populations, ils ont certainement recruté.

Pour répondre à cette situation, ce n’est pas une réponse sécuritaire qui est adéquate. Il faut faire tout pour ramener la confiance entre ces populations et les institutions, en particulier les militaires. Cela évitera que des populations soient complices des groupes djihadistes.

N’existe-t-il pas un principe de précaution pour éviter que les civils soient victimes de ces genres de frappes ?

Bien sûr. C’est le principe de précaution qui est d’ailleurs mis en avant par plusieurs conventions internationales. Ce principe veut que quand il y a des interventions, il faut s’assurer qu’il n’y a pas de civils parmi les cibles militaires. Certains diront qu’il n’y a pas de guerre propre, mais à notre niveau nous dirons que toute tentative de sécurisation doit mettre au cœur des priorités la protection des civils. Cela à tout prix. Le principe de précaution devrait prévaloir.

La semaine dernière, à travers le HCIM, le blocus sur Farabougou a été levé. Si la Coalition citoyenne pour le sahel devait se prononcer sur ce sujet, que diriez-vous ?

La finalité de tout ce que nous faisons, c’est la paix, la stabilité et la cohésion sociale. S’il y a des initiatives qui vont dans ce sens, on ne peut que les encourager.

Cependant, il faut d’abord chercher à savoir les conditions dans lesquelles les négociations ont eu lieu et les conclusions auxquelles sont parvenues les parties.

En savez-vous plus sur ces aspects ?

Pour l’instant, officiellement, je n’en sais pas davantage. Mais il est quand même évident d’éviter un accord qui autoriserait la présence de groupes djihadistes ou même les autorisant à porter des armes dans certaines zones encore moins amenant les populations à accepter la charia.

La Coalition citoyenne pour le sahel demande d’exclure du champ d’action des négociations l’impunité. Nous demandons également que quand il y a des négociations que les parties ou les autorités évitent que les conclusions de ces négociations ne soient préjudiciables à la liberté, à la démocratie et aussi à la laïcité.

Pour le moment, je ne peux pas vous dire exactement le contenu de cet accord même s’il y a des rumeurs qui circulent sur ce contenu. Mais le risque est de voir implanter davantage les djihadistes et aussi assister à l’application de la charia dans certaines localités.

Dans une négociation, il faut céder. Dans la partie concession faite aux groupes djihadistes, ceux-ci ont-ils été autorisés à faire des prêches dans la localité de Farabougou ? Est-ce que ce rapport inclue que les femmes de Farabougou portent des voiles ? C’est là des questionnements auxquels nous devons être amenés.

L’arrivée de 1200 soldats tchadiens dans le Liptako-Gourma a été confirmée lundi dernier. Quelle est l’attente de la Coalition de ce contingent ? 

Pour la Coalition citoyenne, il faut changer d’approche. L’approche actuelle est basée sur la militarisation excessive, sur le budget des différentes armées, sur le déploiement massif des troupes. Pourtant, depuis 2013, on assiste à cette approche. Mais quelle est la situation réelle des populations du sahel ? Cette approche a-t-elle amené des résultats ? Les populations sont-elles en sécurité ?

Pour nous, l’ultime solution n’est pas le déploiement. Nous estimons qu’il faut aller vers une stratégie holistique, c’est-à-dire qui ne met pas fin à la sécurisation à travers la militarisation, mais qui appelle aussi à des actions en matière de développement, d’aide humanitaire, d’analyse des causes profondes du conflit.

Le tout sécuritaire a montré ses limites aujourd’hui. Il faut passer à d’autres approches qui seront complémentaires à l’approche sécuritaire.

Réalisée par Fousseni Togola  


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