Dans cette deuxième partie de notre interview avec Dr Brahima Fomba, professeur à l’université des Sciences juridiques et politiques de Bamako (USJP), il est question des motifs pouvant conduire à la prorogation de cette transition. Ce spécialiste en droit public et en science politique se prononce également sur le rapport entre le Premier ministre et le CNT.
Sahel Tribune : Quels doivent être les motifs pour proroger la durée de cette transition ?
Dr Brahima Fomba : Les motifs que je vois seront difficilement acceptables par les Maliens. Quand le Premier ministre nous sort un programme qui ne respecte pas la durée prévue par le Charte, il y a déjà des soucis. Ce programme montre d’office que le Premier ministre serait dans l’optique de la prorogation de la transition alors qu’il n’a même pas encore commencé son mandat.
En revanche, si on avait un programme gouvernemental de transition, limité aux actions claires, qui mène vers le chemin de la sortie de la transition et qu’au bout du compte, il y ait des contraintes nécessitant un délai supplémentaire, la prorogation pouvait alors être acceptée.
Pensez-vous que cette transition pourrait réussir sa mission de « rectification » ?
J’ai de sérieux doutes là-dessus. Il faut toujours se méfier de ces slogans que les hommes politiques avancent. Il faut prendre le temps de les analyser. Jusqu’à preuve du contraire, je ne vois pas d’éléments probants qui permettent de parler de « rectification ». D’ailleurs je me demande encore à quoi va consister cette rectification, si les mêmes pratiques continuent.
On parle également de refondation. Un autre grand mot. Mais le contenu est toujours vide. Pour refonder, il faut tout casser au préalable. Mais où sont des opérations de casse depuis le début de cette transition ? La refondation ne consiste pas à aller vers une quatrième république. Il faut des dispositions de refondation.
Quelles sont les dispositions auxquelles vous pensez ?
Mieux vaut chercher le problème du Mali dans les acteurs que dans les institutions. Mais hélas, on parle de réforme institutionnelle pour évoquer la création de nouvelles institutions. On fait croire aux Maliens qu’en modifiant les institutions, on aura les résultats escomptés. Or, les institutions en elles-mêmes n’ont pas de vie. Mais c’est les hommes qui font vivre les institutions. Ce qu’il faut refonder c’est plutôt les hommes politiques et les citoyens maliens. L’éthique de la gouvernance, que j’appelle la moralité démocratique, n’est pas donnée par les institutions.
Les Assises annoncées par le gouvernement peuvent-elles permettre d’instaurer cette moralité démocratique ?
Le Mali a besoin aujourd’hui d’une réforme des valeurs et non des institutions. Ce n’est pas des Assises qui suffiront à faire en sorte que les Maliens aient des comportements éthiques, respectent les lois.
Ces Assises ne sont que des manipulations. Le jour où on aura des responsables politiques, qui sont dans l’éthique et la déontologie, qui ne viole jamais la Constitution, le Mali fonctionnera autrement.
L’actuel Premier ministre avait demandé la dissolution du Conseil national de transition quand il était encore au M5-RFP. Mais depuis sa nomination à la Primature, il se tait sur le sujet. Quelle analyse faites-vous du CNT ?
Il existe deux grilles d’analyse sur cette question. En tant qu’homme politique ou citoyen, quand je dis qu’un acte est illégal, ma déclaration engage-t-elle la république ?
Dans un État de droit, je ne suis pas la structure habilitée à déclarer l’illégalité. C’est plutôt le juge. Ma déclaration ne fera pas de l’institution une institution illégale. C’est seulement lorsque le juge se prononce sur la question en me donnant raison que l’institution est considérée comme illégale. Jusqu’à ce que le juge confirme, éventuellement, l’illégalité, l’institution reste légale.
Quand Choguel se présente devant le CNT en tant que Premier ministre, il n’est pas engagé par sa déclaration d’illégalité du CNT parce que le juge saisi de cette question ne s’est pas encore prononcé. Si le Premier ministre est un républicain, il doit considérer le CNT comme légal jusqu’à preuve du contraire.
Et la deuxième grille d’analyse ?
La deuxième grille d’analyse, en revanche, pose problème pour le Premier ministre. Le M5 ne s’est pas contenté de dire que le CNT est illégal. Il a ajouté que le CNT est illégitime. Ce qui nous conduit directement sur un terrain politique. Il n’y a pas de baromètre juridique de mesure de la légitimité. Cela relève d’une appréciation plus ou moins politique d’une situation que de sa situation juridique.
Le Premier ministre a pris une position politique sur le CNT. Sous ce registre, on peut se poser la question de la présence du Premier ministre devant une institution qui n’a pas de légitimité. Lorsque vous privez une institution de légitimité, vous la niez totalement. Vous sortez du droit pour dire qu’elle n’existe pas.
Propos recueillis par Fousseni Togola
Vous pouvez lire ou relire la première partie de cette interview : Dr Brahima Fomba : « Tous les discours sur l’organe unique sont construits autour d’un mythe »
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