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Crises alimentaires : l’humanité dans le rouge

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Alors que la faim aiguë progresse pour la sixième année consécutive, touchant plus de 295 millions de personnes dans 53 pays, le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024 sonne l’alarme d’une tragédie silencieuse devenue structurelle. Entre guerres, effondrements économiques, climat détraqué et financements humanitaires en chute libre, la faim n’est plus une urgence, mais un état permanent pour des millions de vies. En Afrique comme ailleurs, l’échec n’est plus seulement politique ou logistique : il est moral, et appelle une refondation audacieuse des réponses internationales.

Une fois encore, la réalité dépasse l’entendement. Et une fois encore, la faim se moque des promesses, des déclarations de principes et des discours sur la sécurité alimentaire mondiale. Le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024, publié conjointement par les Nations unies, la FAO, le PAM, l’UNICEF, le HCR et d’autres partenaires du Réseau mondial contre les crises alimentaires, fait état d’une détérioration alarmante, pour la sixième année consécutive.

En 2024, 295,3 millions de personnes dans 53 pays et territoires ont été confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, soit une hausse de 13,7 millions par rapport à 2023. C’est une aggravation massive, traduisant non seulement une série de chocs prolongés (conflits, effondrements économiques, déplacements massifs, climat), mais surtout, la faillite progressive du système international de réponse humanitaire.

Des foyers d’urgence absolue

« Le nombre de personnes souffrant d’une faim catastrophique a plus que doublé », souligne le rapport. En effet, 1,9 million de personnes se trouvent aujourd’hui dans la Phase 5 du Cadre intégré de classification (IPC/CH), la plus extrême, synonyme de famine imminente, de mortalité massive, d’effondrement des moyens de subsistance.

La bande de Gaza, le Soudan, Haïti et le Sud-Soudan apparaissent parmi les épicentres de cette tragédie contemporaine. « Dans ces zones, les niveaux de faim ont atteint des niveaux catastrophiques d’insécurité alimentaire aiguë », avertit le rapport. Au Soudan, plus de 25 millions de personnes sont affectées, dont 1,1 million en phase 5. À Gaza, 100 % de la population est aujourd’hui classée en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Une première dans l’histoire du GRFC.

Conflits, effondrements économiques, climat : un triptyque fatal

Les conflits restent la première cause de la faim. Ils touchent 140 millions de personnes dans 20 pays, de la République démocratique du Congo au Myanmar. Les chocs économiques, eux, ont affamé 59,4 millions de personnes dans 15 pays, presque le double d’avant la pandémie. Et cela, malgré une légère accalmie inflationniste depuis 2023.

Le climat, enfin, El Niño en tête, a déclenché des sécheresses et inondations dévastatrices dans 18 pays, affectant 96,4 millions de personnes. Le tout dans un monde où, selon António Guterres, « la réduction spectaculaire des fonds humanitaires vitaux » vient accentuer le désespoir.

Le financement humanitaire au plus bas

« Ce rapport mondial est un nouveau témoignage sans complaisance d’un monde qui a dangereusement dévié de sa trajectoire », déclare le Secrétaire général de l’ONU. Il parle d’une « défaillance de l’humanité », et avertit : « Nous ne pouvons pas répondre à des estomacs vides avec des mains vides et des dos tournés. »

Le paradoxe est glaçant. La faim explose, les budgets fondent. Le GRFC 2024 signale « la réduction la plus importante du financement humanitaire dans l’histoire du rapport ». Cindy McCain, directrice exécutive du PAM, ne cache pas son inquiétude : « Le PAM est confronté à de graves déficits budgétaires, qui l’ont contraint à opérer des coupes sombres dans ses programmes d’aide alimentaire. Des millions de personnes perdront la bouée de sauvetage essentielle que nous leur fournissons. »

Une génération sacrifiée ?

Derrière les statistiques, des enfants. Le rapport recense 38 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë, répartis dans 26 crises nutritionnelles majeures. Catherine Russell, directrice générale de l’UNICEF, va droit au cœur : « Dans un monde d’abondance, rien ne justifie que des enfants souffrent de la faim ou meurent de malnutrition. La faim ronge non seulement l’estomac d’un enfant, mais aussi sa dignité, son sentiment de sécurité et son avenir. »

Face à cette spirale, les auteurs du rapport appellent à une « réinitialisation audacieuse ». Il faut dépasser l’aide d’urgence et investir dans les systèmes alimentaires locaux, l’agriculture rurale, la nutrition communautaire et la résilience à long terme.

Le directeur général de la FAO, Qu Dongyu, le résume ainsi : « L’insécurité alimentaire aiguë n’est pas seulement une crise – c’est une réalité constante. Il est essentiel d’investir dans l’agriculture d’urgence, non seulement en tant que réponse, mais aussi en tant que solution la plus rentable. »

Alvaro Lario, président du FIDA, confirme que « les réponses humanitaires doivent aller de pair avec des investissements dans le développement rural. Les petits exploitants sont au cœur de la sécurité alimentaire. »

La faim comme facteur de chaos

Ne pas agir, c’est courir à la catastrophe géopolitique. « La crise de la faim ne menace pas seulement des vies, elle mine la stabilité des sociétés », alerte Axel van Trotsenburg de la Banque mondiale. Sans réponse, la faim devient moteur de révoltes, d’exils, de radicalisations.

Dans les pays où 70 % de la population dépend de l’agriculture, la moindre disette devient un séisme social. Le GRFC 2024 ne plaide pas pour la charité, il plaide pour la stratégie.

En 2025, la faim ne sera plus une surprise. Elle est annoncée, mesurée, cartographiée. Si elle se poursuit, ce sera par choix, ou par abandon. Et comme le martèle le rapport : « Briser le cycle de la faim exige que l’on place les besoins et les voix des communautés touchées au cœur de chaque réponse. »

Alors, quelle réponse le monde donnera-t-il cette fois ? Car au XXIe siècle, ce n’est plus de pain qu’il manque : c’est de volonté.

Chiencoro Diarra 


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