Home Éducation Crise malienne : lettre ouverte d’un jeune professeur de philosophie aux disparus

Crise malienne : lettre ouverte d’un jeune professeur de philosophie aux disparus

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Chez nous, il est communément pensé et admis que pendant l’inhumation d’un membre de la communauté, qu’il soit proche ou lointain, il ne faut point tenir compte de son statut social ou de son vécu ni de l’idéologie qu’il défendait voire de la cause de sa mort pour lui accorder le mérite qu’on lui doit. Pendant ce dernier instant de sa présence physique parmi nous, il mérite les mêmes honneurs et les mêmes traitements que ceux qui lui avaient précédé dans leur dernière demeure. Je m’incline devant vos corps, mes confrères et consœurs, vous qui nous avez quittés pendant ces derniers temps.

Mon devoir à votre endroit 

Me fiant à cet apophtegme de Cléobule de Lindos, fils d’Evagoras, selon lequel il faut considérer « comme ennemi public quiconque hait le peuple », j’avance mon appréciation sur les circonstances ayant entraîné votre mort. Tout d’abord, je trouve qu’il est urgent que des enquêtes soient ouvertes afin de situer les responsabilités afin que justice soit rendue. Nous allons haranguer pour que cela se fasse conformément aux lois qui répriment ces actes dans notre pays.   

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Je m’incline devant vous, mes compatriotes, vous qui nous avez été arrachés par les balles d’hommes censés vous protéger contre les forces du mal.

À défaut de participer à la préparation de vos sépultures, un événement que j’ai manqué indépendamment de ma volonté, ou de me lever au passage du cortège qui vous a conduit à votre dernière demeure, je déploierai toute ma force pour que votre mort ne soit pas vaine.

La dernière chose à laquelle on s’adonne après la perte d’un membre de la communauté, c’est de réfléchir sur les inscriptions à graver sur sa tombe. Ce geste doit être accompli afin que vous soyez compté parmi les martyrs du Mali, pour que jamais les fils du Mali ne vous oublient. Je prie Dieu pour le repos éternel de vos âmes. Je conjurerai le tout puissant pour que vos âmes aient la paix et le repos.

Tous coupables

Vous avez saisi l’opportunité de la désobéissance civile, déclenchée par les responsables du M5 le vendredi 10 juillet 2020, pour exprimer votre désir d’instauration d’un État de droit et de justice dans votre pays. C’est sur la voie de ce devoir patriotique que vous nous avez été prématurément ôtés par des hommes envoyés en mission.

Toutefois, les leaders du M5 aussi bien que le régime en place sont tous vos bourreaux. Donc, tous coupables de votre mort.

Mes chers compatriotes, votre vie a été écourtée par des hommes dont on ignore l’agenda.

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Ce qui me rend confus dans cette affaire, c’est de voir que dans son allocution télévisée du 11 juillet 2020, notre chef de l’État avançait que « l’État de droit s’assumera, les libertés fondamentales seront préservées tant que je continuerai d’avoir le lourd privilège de vous servir. » Vous nous avez été occulté avant, pendant et après que notre président ait laissé entendre : « Je vais m’incliner devant les victimes, adresser mes condoléances les plus émues aux familles des défunts et prier pour le prompt rétablissement des blessés. En père de famille, je sais ce que ressentent les parents concernés. Je comprends leur douleur et je m’y associe. […]. Pour autant, l’État de droit nous assigne à tous, des devoirs et des obligations. De ces droits comme de ces devoirs, je suis le garant. Ce sont là des lignes rouges, la seule condition pour préserver et notre démocratie et notre culture qui rejette l’excès, pour lui préférer la tolérance, l’amour, l’écoute, le partage. »Sans être un devin, je suis convaincu que ces mots ne venaient pas du fond du cœur.

Des hommes sans qualité des héros

Je déplore votre disparition prématurée. Les hommes qui vous ont incité à sortir que je considère aussi comme coupable de votre assassinat, au même titre que le président de la République, ses plénipotentiaires et ses délégués, n’ont aucune qualité des hommes qu’on conte comme étant ceux qui ont défendu leur peuple contre l’oppression. Ils n’ont pas de trait commun avec les hommes qui ont opposé une farouche résistance contre l’oppression et la domination de leur peuple à l’image d’El hadji Oumar Tall, de Samory Touré, de Sonni Ali Ber, etc., que Christophe Wondji cite dans « Les résistances à la colonisation française en Afrique noire » (1871-1914). Ils ne partagent rien de similaire avec Babemba, ses frères et sa sœur et ses sofas, qui ont défendu Sikasso contre les canons des Français en 1898, que nous conte Moussa Demba Traoré, ni avec Niamodi Sissoko et ses hommes qui sont tous morts sur le champ de la bataille contre les hommes du lieutenant-colonel français Reybaud le 22 septembre 1878.

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Contrairement à tous ces héros que je viens de citer, les leaders qui vous ont conduit dans la rue ont tous (excepté un) été mis à l’arrêt dans leur domicile ou ailleurs, hors du champ de bataille sur lequel on nous a privés de vous.

Je m’interroge

Cependant, je termine ma lettre avec ces interrogations auxquelles je n’ai pas de réponses appropriées : pourquoi en politique, c’est après avoir posé des actes qu’on réfléchisse sur leurs implications ? La désobéissance civile à laquelle le mouvement du 5 juin a appelé le peuple malien ou son peuple et son retour à sa position initiale (la demande de démission du président de la République et son régime), sont-ils un prétexte qui justifie le manque d’agenda clair et de perspective du M5 pour le Mali ? Ou encore s’agit-il d’un stratagème politique pour pousser le chef de l’État à faire usage de la violence afin de le discréditer devant le reste de son peuple retissent à adhérer aux idéaux du M5 ? Ou s’agit-il simplement d’un manque de réel leader au sein de ce mouvement ?

Mikailou Cissé, le nihiliste en puissance


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