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Construire des ponts, et non des murs

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Au Mali, terre de pluralité religieuse, la parole des leaders spirituels a un poids incommensurable. Elle peut unir ou diviser, construire des ponts ou creuser des fossés. Dans un État laïc en quête de stabilité, cette responsabilité prend une dimension capitale : celle de préserver le tissu social dans un contexte où tensions et malentendus menacent de fragiliser la nation.

La cérémonie de présentation des vœux de Nouvel An au Président de la Transition, le Général Assimi Goïta, le 6 janvier dernier, en a été une illustration frappante. Appelant les leaders religieux à plus de vigilance dans leurs discours, le Chef de l’État a pointé la nécessité d’une parole publique mesurée, tournée vers la consolidation de la paix. Une mise en garde qui trouve un écho particulier dans les inquiétudes exprimées par l’Association des groupements et missions protestantes évangéliques au Mali (AGEMPEM). Face aux « menaces qui pèsent » sur des églises locales, le délégué général de l’association a rappelé que la simple confession du christianisme dans certaines régions du centre du pays peut devenir un acte périlleux.

Une parole publique à double tranchant

Le rôle des leaders religieux dans la cohésion sociale dépasse la simple sphère spirituelle. Leurs propos, amplifiés par leur influence, peuvent apaiser ou attiser. Or, au Mali, les discours incendiaires, stigmatisants ou porteurs de généralités simplificatrices se révèlent être des vecteurs puissants de division. Décrire l’autre comme hostile ou incompatible avec sa foi, c’est nourrir des stéréotypes, alimenter les ressentiments et polariser les communautés.

Dans un pays laïc, où les valeurs de neutralité devraient primer, ces dérives peuvent avoir des conséquences dramatiques. Outre les violences directes qu’elles engendrent, elles sapent les bases de la coexistence pacifique et fragilisent le tissu social. Pourtant, ces tensions ne sont pas une fatalité. Promouvoir activement le dialogue interreligieux, la tolérance et la reconnaissance des valeurs partagées — amour, paix, solidarité — est non seulement possible, mais urgent.

Construire des ponts, pas des murs

La cérémonie au Palais de Koulouba a également été une invitation à repenser les dynamiques sociales au Mali. Le dialogue entre musulmans et chrétiens, bien qu’essentiel, reste insuffisant s’il n’est pas accompagné d’actions concrètes. Des campagnes de sensibilisation ciblant les leaders religieux, des formations sur l’impact des mots, ou encore des initiatives locales rassemblant des individus de différentes confessions autour de projets communs, peuvent contribuer à déconstruire les préjugés et à bâtir des ponts.

Dans ce cadre, les leaders religieux doivent comprendre qu’ils ne sont pas seulement des guides spirituels, mais aussi des acteurs sociaux au service de l’intérêt commun. Leurs mots doivent être choisis avec vigilance, car ils peuvent soit renforcer la cohésion, soit exacerber les divisions.

Réguler sans museler

Mais le défi ne s’arrête pas à la seule éthique de la parole. La régulation des discours haineux est tout aussi essentielle. Comment garantir la liberté d’expression tout en empêchant la propagation de propos incitant à la violence ? Ce dilemme, universel, prend une acuité particulière dans un pays où la coexistence est fragile.

Le Mali doit trouver cet équilibre subtil : protéger la libre expression des croyances et des idées tout en traçant une ligne rouge contre les discours qui menacent l’harmonie nationale.

L’enjeu dépasse les simples cercles religieux. La gestion de la coexistence interreligieuse engage tous les acteurs de la société : autorités politiques, organisations civiles et citoyens. Ensemble, ils doivent œuvrer à préserver les principes laïques du Mali, qui garantissent à chacun le droit de pratiquer librement sa foi.

En définitive, la parole des leaders religieux est une arme à double tranchant. Elle peut inspirer, rassembler et construire. Mais mal employée, elle divise, exclut et détruit. En appelant à une gestion prudente de cette parole, le Président Assimi Goïta a rappelé une vérité essentielle : au Mali, la coexistence pacifique ne pourra se construire qu’en érigeant des ponts entre les communautés, et non des murs.

Bakary Fomba


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