Après avoir sommé la MINUSMA à plier bagage, le 16 juin 2023, les autorités maliennes de la transition ont effectué un profond remaniement gouvernemental, le 1er juillet dernier où plus d’une dizaine de ministres ont perdu leur portefeuille. Pour évoquer ces questions d’actualités du Mali, Sahel Kunafoni est allé à la rencontre de l’analyste politique Boubacar Bocoum, membre du directoire du Centre d’étude stratégique (Sènè) et président de l’Association pour l’éducation citoyenne et le développement. Nous vous invitons à lire l’intégralité de notre entretien.
Sahel Kunafoni : Après une dizaine d’années de présence, la MINUSMA est sommée de quitter le Mali. Quelle analyse faites-vous de ce retrait à la demande des autorités maliennes ?
Boubacar Bocoum : Je pense qu’il faut d’abord comprendre que la MINUSMA elle-même est mal née. En fait, le principe des Nations Unies qui date de 1945 ne nous concerne pas. Quand les Nations Unies naissaient, nos États africains n’étaient pas encore indépendants. Cette organisation ne gère pas les intérêts des pays africains, des pays en voie de développement.
La MINUSMA, en tant que telle, est un instrument d’interposition entre la rébellion du Mali et l’État du Mali. Ce qui est une anomalie et une énormité, parce qu’il ne s’agit pas de belligérant, mais plutôt une rébellion intérieure. Faire une interposition dans une rébellion intérieure est une fausse donne. Il s’agit d’aider l’État du Mali à rétablir son intégrité et sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national. Ce qui n’a jamais été le cas.
Les pays occidentaux disposent des moyens de pression sur nos États, notamment financiers, militaires et tout ce qui empêche notre indépendance économique et politique. Dans ce cadre, nous ne pourrons pas parler de souveraineté.
Quel bilan faut-il dresser de la présence de la mission onusienne au Mali ?
Il y a eu des dommages collatéraux. Des agents de la MINUSMA sont morts. Mais la MINUSMA a tué combien de rebelles, combien de djihadistes, combien de terroristes ?
Si vous prenez le système des Nations Unies, le rôle de la MINUSMA n’est pas de se mêler des affaires de l’État, notamment quand vous verrez la section politique, celle de la société civile, les microprogrammes de développement, ce n’est pas le rôle de la MINUSMA. Vous avez tous les instruments des Nations Unies, notamment le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’UNESCO, l’UNICEF, qui prétendent vouloir développer le continent. Ce qui est faux.
Qu’à cela ne tienne, si ces institutions existent, si ses branches existent, celles-ci sont chargées d’accompagner les États dans les différents secteurs de développement économique, social et culturel. Mais il n’est pas question que la MINUSMA, dans l’état actuel des choses, ait comme rôle de s’occuper des projets de développement. Il s’agit pour nous d’avoir la MINUSMA comme instrument qui permettrait à l’État du Mali de recouvrer son intégrité territoriale, sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national. Mais jusque-là, je suis désolé, ce n’est pas le cas.
Si la MINUSMA s’en va aujourd’hui, cela marque l’amorce de l’éveil des peuples colonisés d’Afrique. Il s’agit d’avoir une amorce à partir du Mali pour que les États africains comprennent que les Nations Unies ne se sont jamais occupées d’eux, et qu’il est temps aujourd’hui pour eux de se réveiller et d’aller à cet éveil qui va permettre à tous les pays du continent africain d’avoir leur souveraineté économique, financière et éventuellement une souveraineté politique.
En quoi le retrait de cette force onusienne pourrait impacter négativement la situation sécuritaire dans le nord et le centre du Mali ?
Aujourd’hui, le retrait de la MINUSMA n’a pas d’impacts négatifs sur le Mali, parce que cette force n’a jamais eu d’impacts positifs. Elle n’a jamais rien stabilisé et elle ne s’est jamais occupé de quoique ce soit de façon concrète, à part les petits microprogrammes. Au-delà de cela, sur le plan sécuritaire, elle n’a rien apporté comme valeur ajoutée. Aujourd’hui, il est clair que le Mali assure totalement sa souveraineté en termes sécuritaire.
Je ne pense pas que la MINUSMA, par son départ, cause de problèmes particuliers à l’État du Mali. Au contraire, c’est un phénomène de libération totale du continent, parce que ce départ permettrait, à partir du Mali, d’enclencher le processus de libération de l’ensemble du continent africain. Et nous pensons très sincèrement que le départ de la MINUSMA est une aubaine parce qu’il permettra à l’État du Mali d’étendre sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national et de rétablir la paix et la sécurité.
Que pensez-vous des partenariats stratégiques opérés par les autorités actuelles du Mali ?
Les partenariats stratégiques que nous faisons ne sont pas des soumissions encore moins des inféodations. Ce sont des partenaires de visées qui permettent de relancer nos économies, de redresser notre système sécuritaire, qui nous permettent d’être nous-mêmes. Il est temps que les pays africains, tous ensemble, prennent conscience de cette nouvelle donne géopolitique et géostratégique pour nous permettre d’être aussi des États émergents. Il est incompréhensible aujourd’hui que nos États qui détiennent autant de ressources naturelles, autant de potentielles, autant d’intellectuels soient aujourd’hui encore les dindons de la farce.
Dès lors que nos intelligences se sont suscitées ailleurs, les Africains contribuent à beaucoup de recherches, beaucoup de projets, et les capacités sont réelles. Mais les politiques sont inféodés à un système mafieux qui fait qu’aujourd’hui, la corruption a gangréné tous les systèmes. Nos chefs d’État ne sont pas libres de leurs actions. Ils sont piégés par le système financier mondial qui fait qu’aujourd’hui, tous dépendent de l’occident.
Ce que nous avons appelé le chaos est aussi une doctrine qui est utilisée par les pays occidentaux, ceux qui détiennent le capital, pour nous faire peur et ensuite venir proposer des solutions alternatives qui n’en sont pas d’ailleurs.
Moins d’un an avant les échéances électorales, les autorités maliennes de la transition ont effectué un profond remaniement gouvernemental, où plus d’une dizaine de ministres perdent leur portefeuille. Quelle analyse faites-vous de cette récente réorganisation du gouvernement de la transition ?
D’abord, on a remarqué que beaucoup de conseillers du président de la transition sont entrés dans le gouvernement. Ce qui voudrait dire qu’il veut renforcer ses capacités. Il veut avoir le monopole du leadeurship qui va lui permettre de conduire le reste du processus. C’est-à-dire aujourd’hui, être capable d’organiser les élections, être sûr qu’il a des hommes sûrs autour de lui.
Je pense que fondamentalement, c’est ce qui pourrait justifier ce remaniement ministériel. Mais ce qui est difficile aujourd’hui, c’est qu’on ne peut pas évaluer les ministres qui sont sortis, et on ne sait pas exactement pourquoi il les a remplacés. Il est toutefois important de comprendre que c’est de façon stratégique aujourd’hui qu’il fait ce remaniement. Le président de la transition a le pouvoir discrétionnaire de pouvoir remanier son gouvernement comme il le désire et quand il le désire.
Propos recueillis et retranscrits par Bakary Fomba
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