Dans un pays engagé dans une refondation profonde de son système de gouvernance, « Tombouctou, la Mystérieuse » a relevé un défi majeur en accueillant, pour la première fois, la Biennale artistique et culturelle sur ses terres. Dix jours durant, la Cité des 333 Saints s’est transformée en capitale vivante des arts, réunissant les 19 régions autour d’un même idéal de paix et d’unité. Une réussite organisationnelle et symbolique qui consacre la culture comme pilier de la résilience et de la renaissance nationale, après tant d’années de turpitudes politiques et sécuritaires.
Dans une région longtemps marquée par les turbulences sécuritaires, conséquences directes de pratiques géopolitiques malsaines, digne de l’époque de la guerre froide, Tombouctou a réussi un pari que beaucoup d’experts en carton jugeraient impensable, il y a encore quelques années, à savoir organiser, avec succès, la plus grande rencontre artistique et culturelle du Mali. La Biennale Artistique et Culturelle 2025, première du genre à se tenir dans le Nord du pays, s’est imposée comme un symbole éclatant de paix retrouvée, de vitalité culturelle et de cohésion nationale.
La Biennale, miroir vivant de l’identité nationale
Née presque en même temps que l’indépendance du Mali en 1960, la Biennale artistique et culturelle tire ses racines dans les Semaines nationales de la jeunesse instaurées par Modibo Keïta, premier président du Mali indépendant, en 1962, pour forger l’unité nationale à travers la culture. Transformée en 1970 sous Moussa Traoré, le second chef d’Etat, elle devient une véritable institution de formation et de mobilisation populaire, mêlant art, politique et pédagogie.
Suspendue après la chute du régime Moussa Traoré en 1991, la biennale renaît en 2003 dans un Mali démocratisé, avant d’être décentralisée à partir de 2005 vers les régions, rompant avec le monopole culturel de Bamako. Au fil des éditions, elle s’impose comme un espace de mémoire, de créativité et de cohésion sociale, révélant des figures majeures comme Ali Farka Touré ou Oumou Sangaré.
L’édition 2025 à Tombouctou, première organisée dans le nord du pays, marque un tournant historique. Elle symbolise à la fois la résilience et la renaissance culturelle du Mali. Aussi consacre-t-elle la biennale comme pilier de la souveraineté du Mali.
Une capitale du désert transformée en carrefour culturel
Pendant dix jours, la « Cité des 333 Saints » s’est transformée en diverses scènes, avec des concerts, spectacles de danse, pièces de théâtre et expositions. La ville mystérieuse, qui a vu déferlé par le passé de grands savants en quête de savoirs anciens, a accueilli des délégations venues des 19 régions administratives du Mali et du District de Bamako. Des milliers de visiteurs, nationaux et étrangers, y ont également afflué. Les ruelles historiques de la ville, qui a vu ses manuscrits anciens pillés par des groupes terroristes lors de l’occasion de 2021, ont vibré au rythme des tambours, des kora, des balafons et des danses du terroir.
Le Premier ministre, le général de division Abdoulaye Maïga, a présidée par la cérémonie d’ouverture aussi bien que de clôture. Elles ont réuni le ministre de la Culture, Mamou Daffé, plusieurs membres du gouvernement, des gouverneurs de région, ainsi que les légitimités traditionnelles et religieuses de la région. Ce qui traduit la portée historique de cette activité culturelle et artistique dans une région longtemps considérés comme épicentre du terrorisme alimenté par des sponsors étatiques étrangers. « La Biennale est une mémoire vivante, un miroir de notre identité et un espace de dialogue entre les générations », a rappelé le Premier ministre, tout en saluant la capacité du Mali à « se relever par la culture, là où d’autres cherchent la division par la politique. »
Une réussite logistique et sécuritaire saluée
Organiser un tel événement à Tombouctou, il y a une décennie, relèverait d’un chimère, non seulement en raison des défis logistiques mais aussi sécuritaires dont la région était victime. Pourtant, la machine administrative et sécuritaire a fonctionné avec une précision rare. L’armée, la gendarmerie et les forces locales ont garanti la sécurité des délégations, tandis que les autorités régionales ont assuré une coordination sans faille entre hébergement, transport et programmation.
Pour Mamou Daffé, ministre de la Culture, cette réussite consacre « le triomphe de la culture sur la peur ». Il a souligné que « ce que les peurs ferment, la culture ouvre ». Il a saisi l’occasion pour rendre un hommage appuyé au Président de la Transition, le général d’armée Assimi Goïta, pour avoir décrété 2025 Année de la Culture. Une année dont la clôture a eu lieu à Tombouctou à l’occasion de cette édition de la Biennale artistique et culturelle.
L’organisation a également bénéficié d’un soutien populaire impressionnant. Les habitants de Tombouctou ont accueilli les artistes avec une hospitalité légendaire, redonnant vie à la fameuse diatiguiya — la tradition d’accueil malienne. Des familles ont spontanément hébergé des délégations. Toute chose qui illustre la solidarité communautaire chère à la ville.
Un moment de communion nationale
Au-delà de la compétition entre régions, la Biennale 2025 a surtout été un moment de communion. Les troupes de Bougouni, Dioïla et Tombouctou, grandes gagnantes de cette édition, ont partagé la scène avec des artistes venus de tout le pays, dans un esprit d’unité et de fierté nationale.
Les représentations théâtrales ont abordé des thèmes d’actualité, comme la cohésion sociale, la souveraineté, la résilience face à la crise, tandis que la musique et la danse ont rappelé la diversité et la force des traditions maliennes.
« La culture n’est pas seulement un héritage, elle est un levier de dignité retrouvée et de souveraineté », a expliqué Mamou Daffé. Il a surtout rappelé que Tombouctou, « carrefour de civilisations et de savoirs », retrouve ainsi sa vocation première : celle de lieu de mémoire et d’ouverture.
Un pari gagné pour Tombouctou et pour le Mali
Clôturant la cérémonie, le Premier ministre a annoncé une innovation majeure dans l’organisation de la Biennale : la planification anticipée des futures éditions. Bougouni accueillera la prochaine en 2027, suivie de Koulikoro (2029) et Gao (2031). Un tournant salué comme un signe de maturité et de continuité culturelle.
La réussite de Tombouctou marque donc un jalon dans la reconstruction du Mali par la culture. Dans un pays en quête de cohésion, la Biennale 2025 aura prouvé qu’au-delà des défis sécuritaires, les arts demeurent un ciment national et un instrument de souveraineté.
La Biennale Artistique et Culturelle 2025 restera gravé non seulement dans les mémoires comme mais aussi dans les annales de l’histoire culturelle du Mali comme une édition fondatrice. Non seulement pour la qualité de son organisation, mais aussi pour le message qu’elle porte : celui d’un Mali capable de se reconstruire par la fierté culturelle et la solidarité populaire.
En réussissant là où beaucoup doutaient, Tombouctou n’a pas seulement accueilli un festival, elle a réaffirmé sa place dans l’imaginaire national, comme capitale du savoir, de la paix et de la culture vivante.
Chiencoro Diarra
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