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AES : une réponse sahélienne à l’impasse des intégrations régionales classiques

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La Confédération des États du Sahel (AES) est souvent analysée à travers le prisme de la rupture : rupture avec la CEDEAO, avec les cadres hérités de la Françafrique, avec les mécanismes classiques de coopération sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Cette lecture, si elle n’est pas fausse, reste incomplète. Car l’AES est aussi une tentative inédite de refondation de la gouvernance régionale à partir des réalités sahéliennes.

Créée en septembre 2023 autour du Mali, du Burkina Faso et du Niger, puis formellement érigée en confédération en juillet 2024, l’AES ne se limite pas à une alliance militaire de circonstance. Elle esquisse un modèle institutionnel original, fondé sur trois piliers — sécurité, diplomatie, développement — et sur une logique assumée de souveraineté partagée. Une ambition rare dans une région longtemps marquée par des intégrations formelles mais peu opérantes.

Une architecture politique volontairement resserrée

Au cœur du dispositif se trouve le Collège des chefs d’État, instance suprême de décision, assumant pleinement la centralité du politique dans un contexte de crise sécuritaire prolongée. Ce choix tranche avec les architectures technocratiques de nombreuses organisations régionales africaines, souvent accusées de dilution des responsabilités. Ici, la gouvernance est volontairement verticale, mais lisible.

Autour de ce sommet politique s’articule un Conseil des ministres et des mécanismes nationaux de coordination, chargés d’assurer la traduction concrète des décisions confédérales. Le pari est d’éviter l’écueil des institutions pléthoriques, coûteuses et inefficaces, au profit d’un dispositif léger, évolutif, orienté vers l’action.

Trois piliers pour une intégration pragmatique

La force de l’AES réside sans doute dans sa structuration autour de trois piliers interdépendants. Le pilier sécuritaire, incarné par la Force unifiée AES, répond à l’urgence : la lutte contre des menaces transnationales que les cadres nationaux seuls n’ont pas permis d’endiguer. La mutualisation des moyens, du renseignement et des opérations constitue une rupture opérationnelle réelle.

Le pilier diplomatique, plus discret mais tout aussi stratégique, vise à faire émerger une voix sahélienne cohérente sur la scène internationale. Dans un environnement géopolitique marqué par la recomposition des alliances, l’AES cherche à peser collectivement, plutôt que de subir isolément.

Enfin, le pilier développement, longtemps relégué au second plan dans les politiques sécuritaires, est désormais affiché comme central. La création de la Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID-AES) illustre cette volonté de doter l’espace sahélien d’outils financiers propres, capables de soutenir des projets structurants sans dépendance systématique aux bailleurs traditionnels.

Une gouvernance fondée sur la subsidiarité et la solidarité

Contrairement à certaines craintes, l’AES ne vise pas l’effacement des souverainetés nationales. Son modèle repose au contraire sur une subsidiarité assumée. Les décisions sont prises au niveau confédéral lorsque l’action collective est plus efficace, et restent nationales lorsque la proximité est préférable. Cette logique pragmatique rompt avec les intégrations normatives souvent déconnectées des réalités locales.

La solidarité active, inscrite dans la Charte du Liptako-Gourma, constitue l’autre socle du projet. Toute atteinte à un État membre est considérée comme une atteinte à l’ensemble. Ce principe, plus politique que juridique à ce stade, donne néanmoins une cohérence stratégique à l’ensemble et renforce la crédibilité de la démarche.

Une tentative sahélienne à prendre au sérieux

L’erreur serait de réduire l’AES à une posture idéologique ou à une réaction défensive face aux sanctions et aux pressions extérieures. Elle est, plus profondément, une tentative de produire une gouvernance régionale endogène, fondée sur les priorités sécuritaires, économiques et culturelles du Sahel.

Une chose est certaine : l’AES constitue aujourd’hui l’un des laboratoires les plus ambitieux de recomposition institutionnelle en Afrique de l’Ouest. À ce titre, elle mérite mieux que le scepticisme automatique ou la caricature. Elle mérite un débat sérieux, à la hauteur des enjeux qu’elle soulève.

A.D


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