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Pourquoi l’identité numérique est devenue centrale dans le projet AES

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En lançant un e-passeport et une carte d’identité biométrique communs, la Confédération des États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) franchit un nouveau cap dans son projet d’intégration. Au-delà de la technique, ces nouveaux documents traduisent une ambition politique : celle de bâtir une souveraineté régionale fondée sur la libre circulation, le numérique et le contrôle des identités.

À peine dix-huit mois après sa création, la Confédération des États du Sahel (AES) franchit un seuil décisif de son projet politique : la mise en circulation de documents d’identité et de voyage harmonisés. Le lancement de l’e-passeport AES, en janvier 2025, puis de la carte d’identité biométrique confédérale, en décembre 2025, dépasse la simple réforme administrative. Il traduit une volonté assumée de bâtir une intégration régionale alternative, fondée sur la souveraineté, la numérisation et la libre circulation.

Une rupture assumée avec l’architecture CEDEAO

La disparition progressive des passeports et cartes d’identité CEDEAO dans les trois pays membres — Mali, Burkina Faso et Niger — consacre la rupture institutionnelle intervenue avec le retrait officiel de la CEDEAO en janvier 2025. Les nouveaux documents confédéraux deviennent ainsi les premiers marqueurs concrets d’un espace AES distinct, doté de ses propres instruments juridiques et administratifs.

Le calendrier de déploiement illustre cette volonté d’accélération. Après la réunion d’experts tenue à Bamako en octobre 2024 et la validation technique par les ministres chargés de la sécurité en novembre, la décision présidentielle d’avril 2025 a officialisé l’e-passeport et la carte biométrique comme documents de référence. L’e-passeport, premier à entrer en circulation, est délivré dès le 29 janvier 2025, date hautement symbolique coïncidant avec la sortie effective de la CEDEAO.

Le Burkina Faso a dépassé les 100 000 passeports de l’Alliance des États du Sahel (AES) délivrés dès août 2025, plus précisément 102 000 depuis septembre 2024, selon une annonce du directeur de l’ONI en août 2025. Le Mali relance sa production à l’automne, tandis que la carte d’identité biométrique est officiellement lancée en décembre 2025, avec une généralisation prévue à partir de 2026.

Des documents sécurisés, pensés pour l’interopérabilité

Sur le plan technique, les deux documents répondent aux standards internationaux les plus élevés. Conçus en polycarbonate, dotés de puces électroniques intégrant données biométriques, empreintes digitales et photographie, ils sont conformes aux normes de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Plus de cinquante éléments de sécurité invisibles à l’œil nu visent à limiter les risques de falsification.

Au-delà de la sécurisation, l’objectif est de bâtir un système d’identification interopérable à l’échelle confédérale. Les bases de données nationales sont appelées à être interconnectées, permettant une reconnaissance mutuelle des identités et un partage d’informations entre les États membres. Une architecture technique pensée à la fois pour faciliter la mobilité et renforcer les capacités de contrôle.

Une reconnaissance internationale pragmatique

Restait la question sensible de la reconnaissance internationale. Dès avril 2025, la France valide l’e-passeport AES comme document de voyage officiel. Les pays de l’espace Schengen confirment, quelques mois plus tard, son acceptation administrative. Une reconnaissance rapide, qui tranche avec les tensions diplomatiques persistantes entre les capitales sahéliennes et plusieurs partenaires occidentaux.

Cette avancée diplomatique s’accompagne toutefois d’un paradoxe : la production des documents reste confiée à un prestataire européen spécialisé, faute de capacités industrielles locales équivalentes. Un choix pragmatique, mais qui limite encore l’autonomie technologique complète de l’AES.

Libre circulation, sécurité et économie régionale

Au cœur de cette réforme se trouve la libre circulation des personnes, pilier revendiqué de la doctrine confédérale. Sur le plan juridique, l’harmonisation documentaire simplifie les passages frontaliers et réduit les contrôles redondants. Sur le plan économique, elle vise à fluidifier le commerce transfrontalier, essentiel pour des économies largement informelles et interdépendantes.

Contrairement à certaines approches sécuritaires dominantes, l’AES défend l’idée qu’une mobilité encadrée améliore la sécurité. Les documents biométriques renforcent la traçabilité des personnes, facilitent l’identification et contribuent à la lutte contre le terrorisme, les trafics et la criminalité organisée, grâce à l’échange d’informations entre États.

Dans une région marquée par des déplacements massifs de populations, la question de l’identité légale revêt une dimension sociale cruciale. Des millions de personnes déplacées internes se retrouvent privées de documents, exclues des services publics et des droits fondamentaux. La carte d’identité biométrique AES, accessible dès l’âge de cinq ans et à faible coût, se veut une réponse à cette invisibilité administrative.

Elle ouvre l’accès à l’éducation, aux soins, aux aides sociales et aux services publics, et s’inscrit dans une logique d’inclusion rarement mise en avant dans les politiques sécuritaires sahéliennes.

Une modernisation numérique à portée géopolitique

Ces documents s’intègrent dans une stratégie plus large de numérisation des administrations. Interconnexion des systèmes d’état civil, modernisation des bases de données, sécurisation des informations personnelles. Autant de leviers pour renforcer la souveraineté numérique des États membres et améliorer la gouvernance publique.

À terme, l’identité numérique confédérale pourrait devenir l’infrastructure de base d’autres politiques communes : fiscalité, protection sociale, mobilité professionnelle ou accès aux services en ligne.

Plus qu’un outil administratif, l’e-passeport et la carte biométrique incarnent une ambition politique : faire exister l’AES dans le quotidien des citoyens. La devise de l’AES inscrite sur les documents — « Un Espace, Un Peuple, Un Destin » — résume cette volonté de transformer une alliance née de la crise sécuritaire en un projet d’intégration durable.

Chiencoro Diarra 


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