Dr Yacouba Dogoni est un enseignant-chercheur au département de sociologie à la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de Bamako. Dans cette interview, il explique le contexte dans lequel l’Accord pour la paix a été signé. Il met également le doigt sur les insuffisances de ce document et propose des pistes à explorer après la mise en œuvre de cet Accord.
Phileingora : aujourd’hui le débat sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix refait surface dans un contexte particulier. Pouvez-vous nous parler du contexte de signature de ce document ?
Yacouba Dogoni : l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger a été signé dans un contexte d’insécurité totale, de fragilité complète dans notre pays. Le Mali n’avait pas le contrôle de tout son territoire.
On se rappelle qu’en 2012, le Mali a été confronté à un véritable problème d’insécurité dû à la rébellion dans la partie nord du pays. Une situation qui a été provoquée par le retour des combattants que nous appelons les Libyens. Une fois sur notre territoire, ces hommes ont lancé des offensives sur des camps militaires au nord du pays, comme celui d’Aguelhoc, de Gao, de Tombouctou, etc. Un processus qui a mis en branle la sécurité de notre pays.
Comment sommes-nous arrivés à cet Accord dans un tel contexte ?
Pour aller vers la paix et la réconciliation, le gouvernement du Mali et les groupes rebelles ont lancé l’initiative de la mise en place d’un cadre de concertation pour la réconciliation et la paix au Mali. À l’issue des mois de travail dans ce cadre de concertation, un Accord pour la paix et la réconciliation a été signé en deux temps. Des mouvements signataires vont signer le document, le 15 mai 2015, les groupes appartenant à la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), vont le signer en juin de la même année.
Mais nous nous sommes rendu compte plus tard que cet Accord souffre de beaucoup d’insuffisances.
Des insuffisances ?
Bien sûr. Il n’a pas été présenté au peuple malien ni soumis à l’Assemblée nationale du Mali. Pour résoudre ce problème, qui pouvait soulever des questions de légitimité, l’avis de certains experts, dont des acteurs de la société civile, qui avaient d’ailleurs été exclus du processus des négociations, a été demandé. Mais les observations issues de ces concertations n’ont été prises en compte. Pourtant, ces insuffisances rendent difficile l’application de cet Accord.
Faut-il ou non appliquer cet Accord en l’état ?
Pour répondre à cette question, je dirai que nous n’avons pas besoin de relancer des débats de ce genre sur ce document. Car nous pouvons appliquer cet Accord. Il est bien applicable, même s’il comporte des points qui nécessitent des négociations entre les populations maliennes.
Malgré tout, j’estime qu’il faut commencer son application afin de renforcer la paix, la sécurité et même la réconciliation nationale. C’est seulement après cela que nous pouvons voir quels sont les points de discordances qui nécessitent une révision.
Mais certains craignent que son application en l’état n’entraîne une « partition du Mali » ou faire de ce pays une « République fédérale ». Ne partagez-vous pas ces craintes ?
Il faut quand même reconnaitre aujourd’hui que les États les plus forts sont les États fédéraux. Prenez les États-Unis, la Chine, la Russie, ils sont tous des États fédéraux, mais qui sont pourtant considérés comme les plus grandes puissances dans les domaines militaires, économiques.
Les gens ont raison de penser de la sorte. Mais je pense qu’à un moment donné, il faut aller nécessairement vers cette option. Compte tenu de la rareté et de la morosité des ressources économiques et même de l’étendue de notre pays, il faut plutôt aller vers des régions États, c’est-à-dire des États avec des autonomies entières pour permettre aux gouvernants et aux gouvernés de prendre leurs propres décisions sur certains aspects de la vie, comme les services sociaux de base, la sécurité, etc.
Il faut laisser le soin aux autres de tenter d’autres politiques, si la paix et la réconciliation en dépendent. Nous savons tous que notre décentralisation a montré ses limites.
Ne pensez-vous pas que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix en l’état pourrait conduire à d’autres situations ?
Le problème est que le Malien est généralement pessimiste par rapport aux nouvelles politiques. Mais je pense qu’il faut toujours les sensibiliser et aussi organiser une large concertation entre tous les Maliens, en excluant totalement la communauté internationale et même le comité de suivi de l’Accord (CSA).
Si nous arrivons entre Maliens à discuter et à mettre en place de véritables institutions assez fortes pour pouvoir gérer les différentes régions, le Mali pourrait mieux rebondir.
Le monopole de Bamako sur le pouvoir doit s’arrêter à un moment donné. Il faut sortir de cet enclos et penser à l’avenir. Et cet avenir ne se joue pas seulement à Bamako.
Réalisée par Fousseni Togola
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.