Les récentes évolutions politiques en Afrique de l’Ouest et centrale révèlent une gouvernance de plus en plus contestée, où les principes démocratiques sont appliqués de manière sélective. Entre tensions en Guinée-Bissau, retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, et la candidature du général Oligui Nguema au Gabon après un coup d’État, l’on peine à garantir la stabilité et la démocratie sur le continent. L’Union africaine, censée jouer un rôle central dans la gouvernance et la médiation, apparaît souvent passive, incapable d’imposer des solutions durables face aux dérives autoritaires et aux crises institutionnelles qui secouent le continent.
La mission politique dépêchée par la CEDEAO et l’UNOWAS en Guinée-Bissau avait pour objectif d’apaiser les tensions et de préparer le terrain pour des élections en 2025. Cependant, l’initiative a été brusquement interrompue par des menaces d’expulsion de la part du président Umaro Sissoco Embaló. Ce qui témoigne de l’existence d’une hostilité croissante du pouvoir envers les interventions extérieures.
Ce rejet de la médiation internationale met en lumière une tendance fréquente en Afrique où les dirigeants en place refusent d’être soumis à des mécanismes de contrôle, même lorsqu’ils sont censés garantir un processus démocratique équitable.
Le paradoxe est d’autant plus frappant que le président Embaló lui-même plaide pour une transition rapide et des élections au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, où des autorités militaires sont au pouvoir. Cette posture démontre une application sélective des principes démocratiques selon les intérêts des gouvernants.
L’expulsion de la mission marque une rupture entre la CEDEAO et le pouvoir bissau-guinéen, qui pourrait compliquer davantage l’organisation des élections de 2025. La réaction de la communauté internationale est attendue pour déterminer si la Guinée-Bissau pourra bénéficier d’un cadre électoral transparent ou si elle s’enfoncera dans une crise institutionnelle.
Rumeurs et annonce officielle de candidature du président de la transition
Au Gabon, la période électorale est également marquée par des turbulences. Une rumeur persistante annonçant la démission de l’armée du président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, a circulé avant d’être officiellement démentie par la présidence. Cet épisode souligne les dangers de la désinformation dans un contexte politique sensible.
Toutefois, la véritable information majeure est l’annonce officielle de la candidature d’Oligui Nguema à l’élection présidentielle du 12 avril 2025. Cette décision interroge sur la sincérité du processus de transition engagé après le coup d’État ayant renversé Ali Bongo en août 2023. En se portant candidat, le chef de la transition suit une tendance répandue en Afrique où les dirigeants militaires, censés organiser un retour à l’ordre constitutionnel, finissent par s’imposer comme candidats à la présidentielle.
Ce phénomène pose un problème de légitimité démocratique. Les coups d’État militaires sont largement critiqués par la communauté internationale, mais les « coups d’État constitutionnels », où les dirigeants prolongent leur pouvoir à travers des manœuvres électorales ou des modifications des règles du jeu politique, sont souvent tolérés. L’Afrique est ainsi confrontée à une contradiction majeure. Des pressions externes pour limiter les mandats présidentiels et des réalités internes où les chefs d’État cherchent à se maintenir indéfiniment au pouvoir.
Une gouvernance en crise et une démocratie à double vitesse
L’actualité récente en Guinée-Bissau et au Gabon met en évidence une gouvernance africaine marquée par la résistance des dirigeants face aux principes démocratiques. Alors que la CEDEAO peine à imposer ses normes en matière de transition politique, des chefs d’État utilisent à leur avantage les failles du système pour consolider leur pouvoir.
L’Union africaine, de son côté, peine à assumer son rôle de garant de la gouvernance sur le continent. Souvent critiquée pour son immobilisme, elle apparaît inefficace face aux crises politiques récurrentes. Son manque de fermeté à l’égard des dirigeants qui modifient les constitutions ou retardent les élections renforce le sentiment d’une démocratie à double vitesse, où certaines pratiques sont tolérées tandis que d’autres sont sévèrement réprimées.
L’enjeu majeur pour l’Afrique reste donc la crédibilité des processus électoraux et la capacité des institutions régionales et internationales à garantir une véritable alternance politique. Tant que les dirigeants refuseront d’être jugés par les mêmes critères qu’ils imposent aux autres, la stabilité démocratique du continent restera fragile.
La CEDEAO, une organisation en crise et en perte de légitimité
La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée pour promouvoir l’intégration régionale et la stabilité politique, traverse aujourd’hui une crise profonde. Son incapacité à gérer efficacement les transitions politiques et son application sélective des principes démocratiques ont terni son image. L’expulsion de la mission de médiation en Guinée-Bissau par le président Umaro Sissoco Embaló, pourtant ancien président en exercice de l’organisation, illustre ces contradictions. Tandis que la CEDEAO impose des sanctions sévères aux régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger, elle reste silencieuse face aux chefs d’État qui modifient les constitutions pour s’éterniser au pouvoir, renforçant ainsi le sentiment d’injustice parmi les populations.
Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger en janvier 2025 marque un tournant majeur pour l’organisation. Ce qui remet en cause son rôle et son influence. Ces États dénoncent une CEDEAO jugée partiale, inefficace face aux crises sécuritaires et trop alignée sur des intérêts étrangers. En parallèle, l’organisation peine à maintenir son autorité dans les pays où elle est encore présente, comme en Guinée-Bissau, où son incapacité à s’imposer face au pouvoir en place expose ses faiblesses. Pour éviter une implosion, la CEDEAO devra impérativement se réformer, en appliquant des règles cohérentes et en intégrant davantage les aspirations des peuples qu’elle est censée représenter.
Une Union africaine spectatrice des crises
Face à ces défis, l’Union africaine apparaît tout aussi impuissante. Présentée comme l’organe suprême de gouvernance continentale, elle peine à imposer une ligne directrice claire en matière de respect des principes démocratiques. Son rôle dans la gestion des crises en Afrique de l’Ouest et centrale reste largement symbolique, souvent limité à des déclarations sans impact réel sur le terrain.
L’absence de sanctions uniformes, l’inaction face aux modifications constitutionnelles abusives et son incapacité à anticiper les crises font de l’Union africaine un spectateur plutôt qu’un acteur du changement. Tant qu’elle ne se dotera pas de mécanismes plus contraignants et d’une volonté politique forte pour garantir la démocratie sur le continent, elle continuera d’être perçue comme un organe inefficace, incapable d’empêcher l’instabilité chronique qui frappe l’Afrique.
Ibrahim K. Djitteye
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