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Climat, conflits et cohabitation : la grande fracture agropastorale 

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Alors que le climat se dérègle et que les ressources naturelles se raréfient, les tensions entre agriculteurs et éleveurs s’intensifient dans de nombreuses régions rurales du continent. Derrière ces affrontements parfois violents se cache une crise systémique : concurrence pour l’eau et la terre, mutation des pratiques agricoles, vulnérabilité face aux chocs climatiques. Plus qu’un simple conflit de voisinage, c’est toute une architecture agropastorale qu’il faut repenser pour éviter l’embrasement silencieux des campagnes africaines.

Il fut un temps – pas si lointain – où agriculteurs et éleveurs, unis par le sort et la saison, se croisaient sur les terres du Sahel dans une forme de coexistence organique. L’un semait, l’autre transhumait ; l’un récoltait, l’autre abreuvait son bétail. Il y avait des heurts, certes, mais ils étaient ponctuels, souvent réglés par le chef de village ou un imam à barbe blanche. Aujourd’hui, les kalachnikovs ont remplacé les palabres, et les pâturages se disputent à coups de machettes ou de cocktails Molotov. Ce glissement progressif du conflit local vers la crise régionale n’est pas qu’un fait divers agricole. Il est le miroir brisé d’un système à bout de souffle, exacerbé par une donnée longtemps ignorée mais désormais implacable : le changement climatique.

Disparition progressive des mécanismes de médiation

Car derrière les tensions entre agriculteurs et éleveurs se profile une lutte acharnée pour l’accès à des ressources naturelles qui se raréfient, s’étiolent, ou disparaissent tout simplement. Eau, terres, pâturages : tout devient objet de survie, donc de conflit. Dans un Sahel de plus en plus aride, où l’on parle aujourd’hui de « stress hydrique » comme autrefois de sécheresse saisonnière, les corridors de transhumance sont engloutis par l’extension agricole, les forages tarissent et la poussière remplace la verdure. L’herbe est devenue un champ de bataille, et l’eau, un bien géopolitique.

Il serait illusoire – voire irresponsable – de réduire ces affrontements à de simples disputes rurales. Ce sont les premiers symptômes d’un dérèglement plus global. Un dérèglement où les systèmes de production, autrefois complémentaires, s’opposent aujourd’hui dans une logique de dépossession. L’éleveur n’est plus vu comme le frère nomade, mais comme l’envahisseur. Le paysan, jadis compagnon de saison, devient l’accapareur. Derrière cette polarisation, se cache un changement de paradigme : la disparition progressive des mécanismes de médiation sociale, l’épuisement des modèles de cohabitation ancestrale, et l’impuissance d’États parfois absents, parfois dépassés.

Changer de paradigme pour une meilleure gestion 

Mais ce que le climat a déréglé, la politique – si elle est éclairée – peut encore réajuster. Il ne s’agit plus seulement de « gérer des conflits », mais de refonder la relation entre agriculture et élevage dans une optique de résilience commune. Cela passe par une ingénierie sociale : moderniser les cadres juridiques, sécuriser les terres, garantir la mobilité pastorale tout en accompagnant l’intensification agricole. Cela implique aussi une révolution technologique à la hauteur des défis climatiques : irrigation de précision, partage de données agroclimatiques, diversification intelligente des cultures, et surtout, revalorisation des savoirs locaux.

Plus fondamentalement, il faudra décoloniser les imaginaires. Arrêter de considérer l’éleveur comme un archaïsme ambulant et le cultivateur comme une victime éternelle. L’un et l’autre sont au front, au propre comme au figuré. Leur combat est celui de la souveraineté alimentaire, de la paix sociale et de la survie collective dans une ère climatique incertaine.

Si rien n’est fait, si les États, les partenaires, les communautés continuent de traiter ce conflit comme une nuisance périphérique, alors les tensions locales d’aujourd’hui deviendront les guerres civiles de demain. Il ne faut pas s’y tromper : la bataille pour l’eau et la terre est déjà engagée. Elle ne se gagnera ni avec des fusils ni avec des décrets, mais avec une volonté politique ferme, une gouvernance inclusive, et une ambition régionale.

Au cœur de la brousse en feu, ce n’est pas seulement la vache qui meurt, c’est aussi l’équilibre d’un monde qu’on croyait éternel.

Chiencoro Diarra 


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