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À Malabo, l’union se décompose : autopsie d’une crise diplomatique africaine

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À Malabo, le sommet qui devait acter une transition ordinaire à la tête de la CEEAC s’est transformé en scène de rupture. Le Rwanda, privé de la présidence tournante, claque la porte. En toile de fond : le conflit rwandais-congolais, désormais transporté dans l’arène diplomatique. Et une question : que reste-t-il de l’intégration régionale quand les États règlent leurs comptes à ciel ouvert ?

Le 8 juin 2025, Kigali a claqué la porte. En refusant de transmettre la présidence tournante de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) au Rwanda, les chefs d’État réunis à Malabo ont provoqué une crise diplomatique d’une ampleur inédite dans l’histoire de cette organisation créée en 1983. Derrière le prétexte institutionnel, c’est un contentieux plus profond, plus ancien, plus explosif – celui entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) – qui a refait surface, projetant son ombre sur l’intégration régionale tout entière.

Quand Kinshasa bloque Kigali

Il ne devait s’agir que d’une formalité. Une transmission de témoin, en somme : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, président de la Guinée équatoriale, cédant la présidence tournante de la CEEAC à son homologue rwandais, Paul Kagame. Mais à Malabo, rien ne s’est passé comme prévu. Le Burundi s’y est opposé. La RDC a haussé le ton. Résultat : statu quo prolongé. Obiang reste président. Kagame s’éclipse.

Dans les coulisses du sommet, les mots ont fusé. Un commissaire de la CEEAC confie : « C’était électrique. Le ministre rwandais voulait comprendre pourquoi cette transmission lui était refusée. Celui de la RDC a répondu que ses autorités ne pouvaient pas accepter d’avoir à se rendre au Rwanda tant que ce pays menait une agression contre leur territoire ». Ambiance.

Kigali dénonce, Kinshasa persiste

Dans un communiqué au vitriol publié le 8 juin au matin, le ministère rwandais des Affaires étrangères accuse : « La CEEAC a été instrumentalisée par la RDC. Le droit du Rwanda à assumer la présidence tournante a été sciemment bafoué pour permettre à Kinshasa d’imposer sa volonté. »

La pilule est d’autant plus amère à Kigali que ce n’est pas la première fois que le Rwanda se sent marginalisé. En 2023 déjà, lors d’un sommet tenu à Kinshasa, Kigali avait été exclu des débats. La scène se rejoue, cette fois à Malabo. Et cette fois, Kigali préfère se retirer.

Côté congolais, la réponse n’a pas tardé. Selon la présidence de la RDC, « les chefs d’État de la CEEAC ont reconnu l’agression rwandaise et ont appelé Kigali à retirer ses troupes de l’est de la RDC ». Le ton est sans appel. Pour Félix Tshisekedi, aucun dialogue n’est possible tant que le Rwanda est perçu comme fauteur de guerre.

Une organisation prise en otage

Au-delà du conflit bilatéral, c’est toute la crédibilité de la CEEAC qui vacille. L’organisation, qui se voulait un espace de coopération économique, de dialogue politique, de développement solidaire, devient la scène d’un duel. L’épisode de Malabo donne à voir une structure régionale paralysée, incapable de faire respecter ses propres règles, à commencer par celle de la rotation de sa présidence.

Ironie du sort : au même moment, les chefs d’État valident le lancement d’une zone de libre-échange régionale, prévue pour le 30 août 2025. Mais comment bâtir une union économique quand un de ses membres les plus dynamiques – le Rwanda – est exclu du cercle ?

Le précédent sahélien

Ce qui se joue ici dépasse le cas d’école. La crise que traverse la CEEAC résonne avec celle que vit la CEDEAO à l’ouest, où le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont claqué la porte pour fonder leur propre organisation, la Confédération des États du sahel. L’Afrique régionale se fragmente. L’unité continentale, tant prônée par l’Union africaine, se heurte à la realpolitik des capitales.

Face à cette érosion institutionnelle, la CEEAC devra choisir : réforme ou délitement. Le retrait du Rwanda n’est pas anodin. Kigali est un poids lourd stratégique, diplomatique et économique. L’écarter revient à se priver d’un partenaire de premier plan. Mais le garder, aux yeux de Kinshasa, c’est adouber un agresseur.

Le divorce rwandais révèle les limites du multilatéralisme à l’africaine quand les intérêts nationaux prennent le pas sur les ambitions communautaires. Ce n’est pas seulement la présidence tournante qui a été confisquée à Malabo. C’est l’idée même de solidarité régionale qui a volé en éclats. Et à mesure que les fractures s’accentuent, c’est l’Afrique centrale tout entière qui s’enfonce dans une instabilité institutionnelle durable.

Chiencoro Diarra 


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