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À Bamako, le Mali débaptise ses symboles coloniaux et érige un nouveau récit national

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En inaugurant, le 11 décembre 2025, les places « Mali Cɛbaw » et « Mali Kɛlɛmasaw » à Koulouba, le Président de la Transition, le Général d’Armée Assimi Goïta, inscrit la capitale dans un vaste chantier de reconquête mémorielle. Rebaptisée en lieu et place de la « Place des Explorateurs », la première célèbre les grandes figures politiques et spirituelles du passé malien, tandis que la seconde – anciennement « Place des Gouverneurs du Soudan français » – honore les chefs de guerre et résistants qui ont façonné l’indépendance et la souveraineté du pays. Un geste hautement symbolique dans une période où le Mali redéfinit les contours de son identité nationale.

Le gouvernement de transition malien a franchi un nouveau cap dans sa politique de rupture mémorielle avec la France en rebaptisant deux places publiques majeures de la capitale. Par un décret du 21 février 2025, les anciennes Place des Explorateurs et Place des Gouverneurs du Soudan Français ont officiellement cédé la place aux « Mali Cɛbaw » (les Grands Hommes du Mali) et « Mali Kɛlɛmasaw », monuments dédiés aux figures fondatrices, militaires et résistantes de l’histoire nationale. Une opération présentée comme un acte de souveraineté par les autorités, mais qui cristallise une recomposition profonde du paysage politique et des relations franco-maliennes.

Un geste mémoriel devenu outil de souveraineté

Pour le ministère de la Culture, ce changement n’est pas une simple décision symbolique. Il s’agit d’une réponse à ce que l’Exposé des motifs qualifie de « manœuvres d’effacement de la mémoire des peuples colonisés », imputées à l’Administration française durant la période coloniale. Le gouvernement affirme vouloir rompre avec une toponymie glorifiant des explorateurs et administrateurs « sans résonance pour les Maliens » au profit des héros de l’histoire précoloniale, impériale et contemporaine.

Les deux places rénovées traduisent cette volonté. À la Place de Mali Cɛbaw remplacent désormais les bustes de Soundiata Keïta, Sonni Ali Ber, Samory Touré, Babemba Traoré, Modibo Keïta ou encore Mama Dinga — figures fondatrices des grands empires d’Afrique de l’Ouest ou résistants à la conquête française. À la Place Mali Kɛlɛmasaw, dédiée aux figures militaires, ce sont désormais les portraits des généraux Moussa Traoré, Abdoulaye Soumaré, Amadou Toumani Touré ou du colonel Sékou Traoré qui occupent les murs autrefois réservés aux gouverneurs du Soudan Français.

Le « Mali Kura », colonne vertébrale idéologique

Cette réécriture des espaces publics s’inscrit dans la doctrine officielle du « Mali Kura », le programme de refondation culturelle et politique porté par le général Assimi Goïta. L’année 2025 a été déclarée « année de la culture », dans l’objectif de réhabiliter les valeurs du Maaya (dignité, humanité, civisme) et du Danbe (honneur, fierté, courage) présentées comme le socle du « nouvel homme malien ».

Les Assises nationales de la refondation de 2021 avaient déjà recommandé la revalorisation des héros nationaux, dans un contexte de quête de légitimité des autorités militaires. Le ministre Mamou Daffé justifie cette démarche comme un acte de « mémoire, de justice et de souveraineté » censé redonner « fierté et dignité » aux Maliens.

Une manœuvre politique à usage interne

Ce geste mémoriel intervient dans un moment de recomposition politique interne, où les autorités maliennes de la transition cherchent à consolider leur assise face à une population éprouvée par l’insécurité et la dégradation économique. L’hommage rendu aux résistants à la colonisation et aux figures militaires modernes permet d’ancrer le régime actuel dans une continuité historique valorisée : celle de la bravoure, de la lutte et de la défense du territoire.

Cette stratégie vise aussi à renforcer l’adhésion des jeunes générations, présentées par les autorités comme les bénéficiaires directs de ces « repères de courage dressés dans la pierre ».

Un message peu équivoque adressé à la France

Ce changement toponymique intervient dans un contexte de rupture diplomatique profonde avec Paris. Après le départ des forces françaises, l’expulsion de l’ambassadeur et la dénonciation des accords militaires, la transformation des espaces publics symbolise le démantèlement final de la mémoire coloniale française au Mali.

Pour Bamako, ce geste achève le cycle de la rupture assumée sur les plans militaire, politique et désormais culturel. Pour Paris, il s’agit d’une évolution attendue, s’inscrivant dans une dynamique déjà jugée irréversible. 

En invoquant les grands empires précoloniaux et en valorisant les figures panafricaines, le Mali s’inscrit dans une matrice identitaire partagée avec ses voisins directs, Burkina Faso et Niger, réunis au sein de l’AES. Ce repositionnement mémoriel s’ajoute au réalignement stratégique vers de nouveaux partenaires, notamment la Russie.

Une souveraineté revendiquée, une mémoire en reconstruction

L’effacement des symboles coloniaux au profit des « Mali Cɛbaw » et « Mali Kɛlɛmasaw » marque une volonté de rompre avec le récit imposé durant la colonisation, et de reconstruire un imaginaire national cohérent avec la vision politique actuelle.

À Bamako, les nouvelles effigies trônent désormais comme les pierres de fondation visibles d’un projet politique plus vaste. Pour les autorités, elles incarnent un Mali en renaissance. Pour les observateurs, elles symbolisent surtout un pays qui redéfinit, dans la pierre et dans le discours, les contours de son identité et de ses alliances.

Chiencoro Diarra 


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